« Née ici, répéta le vieillard, versant des larmes ; élevée ici, messieurs et dames. Je vous présente ma fille : fille d’un père malheureux, c’est vrai ; mais… hem !… toujours gentleman. Pauvre, sans doute, mais… hem !… toujours fier, toujours fier… Il arrive… ha !… très-fréquemment que mes… hem !… admirateurs personnels… seulement mes admirateurs personnels… expriment le désir de reconnaître la position semi-officielle que j’occupe ici par l’offre… hem !… de divers petits tributs qui prennent ordinairement la forme d’un… ha !… témoignage… d’un témoignage pécuniaire. En acceptant ces… hem !… hommages volontaires rendus aux humbles efforts que je fais pour… hem !… maintenir la dignité… ha !… la dignité de la communauté, je dois dire, avant tout, que je ne crois pas compromettre par là ma position de gentleman… hem !… nullement… qui ? moi !… un mendiant !… Non pas, je repousse cette injure. Mais, en même temps, loin de moi l’idée d’offenser les nobles sentiments qui animent mes généreux amis, en hésitant à reconnaître que leurs offrandes sont… hem !… très-acceptables ; au contraire, j’avoue qu’elles sont on ne peut plus acceptables. Au nom de ma fille, sinon personnellement, je fais cet aveu sans le moindre scrupule et sans la moindre réticence ; mais sous toute réserve… hem !… sous toute réserve, bien entendu, de ma dignité personnelle. Messieurs et mesdames, Dieu vous bénisse. »
À cet endroit du discours, l’extrême déconvenue de Mme Merdle avait engagé la plupart des convives à se retirer dans les salles voisines ; les quelques curieux qui assistaient encore à cette triste scène ne tardèrent pas à les suivre, laissant la petite Dorrit et son père seuls avec les domestiques : « Mon cher père, mon père bien-aimé, ne voulez-vous pas m’accompagner maintenant ? » Mais non ; il répondait à ses supplications qu’il ne pourrait jamais gravir l’étroit escalier, si Bob ne venait pas l’aider. Où donc était Bob ? Pourquoi personne ne voulait-il amener Bob ? Sous prétexte d’aller à la recherche de Bob, elle fit descendre son père au milieu des flots de joyeux invités qui arrivaient au bal, monta avec lui dans une voiture qui venait d’amener des danseurs, et le reconduisit chez lui.
Le large escalier de son palais romain prit, aux yeux de son cerveau malade, les proportions de l’étroit escalier de la prison de Londres ; et il ne permit à personne, sauf à la petite Dorrit et à l’oncle Frédéric, de le toucher. Ils parvinrent à le conduire, sans autre aide, jusqu’à la chambre, et à le coucher. À partir de ce moment, sa pauvre âme mutilée, ne se souvenant plus que de l’endroit où elle s’était brisé les ailes, supprima le rêve à travers lequel elle avait été emportée depuis, pour ne plus se rappeler que la prison de la Maréchaussée. Lorsqu’il entendait des pas résonner sur le pavé de la rue, il les prenait pour le pas monotone des détenus se promenant dans les cours de la geôle. Dès que l’heure de la fermeture avait sonné, il se figurait que tout étranger était exclu jusqu’au lendemain. Lorsque arrivait le moment de rouvrir les portes, il de-