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d’oreilles et ce superbe collier qui vont ensemble, sont ce qu’on nomme un sentiment. Tandis que ces broches et ses bagues, d’un goût si gracieux et si pur, forment, avec la permission de monsieur, ce qu’on appelle un cadeau de noces.

— Peut-être, hasarda M. Dorrit en souriant, ne serait-ce pas un mauvais calcul d’acheter l’un et l’autre ; on commencerait par le sentiment, on finirait par le cadeau de noces ?

— Ah ciel ! s’écria la petite dame, joignant le bout des doigts de ses mains mignonnes, voilà qui serait tout à fait généreux ! une galanterie du suprême bon ton. Comment voulez-vous que la dame, comblée de si jolis présents, ne les trouve pas irrésistibles ? »

Hé ! hé ! M. Dorrit n’était pas trop sûr de cela ; mais par exemple ! la petite dame éveillée en était bien sûre, elle. M. Dorrit acheta donc le sentiment et le cadeau de noces, qui lui coûtèrent l’un et l’autre une somme assez ronde. Puis il regagna en flânant son hôtel ; il n’avait jamais porté la tête si haute. Il était évident que son château, pour le quart d’heure, s’élevait déjà plus haut que les tours Notre-Dame.

Continuant de bâtir sans relâche et de toutes ses forces, sans communiquer à personne ses devis ni ses plans, M. Dorrit partit pour Marseille. Bâtissant encore, bâtissant toujours, du matin jusqu’au soir, laissant, avant de dormir, des masses énormes de matériaux suspendues en l’air, se réveillant en sursaut pour reprendre le travail interrompu et mettre en place moellons et pierres de taille. Pendant ce temps-là, le courrier, assis dans la capote de derrière, fumant les meilleurs cigares du jeune John, laissant voltiger après lui de petites spirales bleuâtres… bâtissait peut-être aussi, de son côté, un ou deux châteaux en Espagne, avec quelques pièces égarées de l’argent de M. Dorrit.

Aucune des villes fortifiées qu’ils traversèrent ne possédait un château fort aussi solide, pas une cathédrale n’était aussi élevée que le château de M. Dorrit. Ni la Saône, ni le Rhône ne marchaient aussi vite que cet incomparable édifice ; le lit de la Méditerranée était moins profond que les solides fondations du château de M. Dorrit ; les paysages lointains sur la route de la Corniche, les collines et le golfe de Gênes la Superbe n’étaient pas plus magnifiques. M. Dorrit et son château sans pareil débarquèrent parmi les sales maisons et les forçats plus sales encore de Civita-Vecchia, et se mirent en route pour Rome, se tirant tant bien que mal des ordures qui empestaient la route.