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le placement, c’est-à-dire le placement le plus avantageux possible, de… hem !… mes capitaux.

— Eh bien ! monsieur Dorrit, répliqua M. Merdle faisant encore tourner sa langue, si je puis vous être utile sous ce rapport, disposez de moi. »

M. Dorrit s’était exprimé avec plus d’hésitation que de coutume en abordant ce sujet chatouilleux, car il ne savait pas bien comment un potentat de la force de M. Merdle prendrait la chose. Il craignait que toute allusion à un capital ou à une fortune privée ne fût qu’une misérable affaire de détail aux yeux d’un homme qui remuait l’argent à la pelle. Soulagé par l’offre affable que M. Merdle venait de lui faire, il en profita immédiatement pour lui prodiguer ses remerciements.

« J’aurais à peine… hem !… osé, je vous assure, compter sur l’immense avantage de pouvoir ainsi mettre à profit votre aide et vos conseils, bien que je fusse résolu, dans tous les cas, à faire comme… ah hem !… le reste du monde civilisé, et à suivre fidèlement les spéculations de M. Merdle.

— Vous savez que nous voilà presque parents, monsieur, répliqua M. Merdle, qui examinait en même temps avec un intérêt assez étrange le dessin du tapis, et, par conséquent, je me mets à vos ordres.

— Ah ! très-aimable, en vérité !… excessivement aimable !

— Il ne serait pas facile aujourd’hui, continua M. Merdle, pour un simple étranger d’obtenir des actions dans de bonnes affaires… je parle de mes bonnes affaires à moi, bien entendu…

— Naturellement, naturellement ! fit M. Dorrit d’un ton qui signifiait qu’en dehors de celles-là on savait bien qu’il n’existait pas de bonnes affaires.

— … À moins de payer une prime très-élevée… ou, comme nous disons, nous autres capitalistes, un long chiffre. »

M. Dorrit était si enchanté qu’il se mit à rire. Ah, ah, ah ! Un long chiffre. Très joli ! Ah, ah ! Très-expressif, en vérité !

« Cependant, ajouta M. Merdle, je me réserve ordinairement le droit d’exercer certaines préférences… (mes amis veulent bien dire certaines faveurs)… comme une récompense de mes soins et de mes peines…

— Dites de votre coup d’œil hardi et de votre génie, » suggéra M. Dorrit.

M. Merdle, d’un mouvement de sa langue desséchée sembla avaler ces qualités comme il eût fait une pilule ; puis il ajouta :

« Je verrai, avec votre permission, si je ne pourrais pas exercer ce droit limité (car le monde est jaloux, et c’est ce qui fait que mon droit est limité)… à votre profit.

— Vous êtes bien bon, répéta M. Dorrit. Vous êtes trop bon.

— Il va sans dire que, dans les transactions de ce genre, la plus grande intégrité et la plus grande franchise sont de rigueur ; il doit exister une bonne foi parfaite entre les intéressés, une