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des traces noires comme si on y eût mis le feu à une petite traînée de poudre ; et il avait l’air d’un homme qui, avec un tempérament plus ardent, aurait eu un fort accès de fièvre ce matin-là. C’étaient ces symptômes apparents et la manière dont le banquier passait lourdement la main sur son front, qui avaient excité la sollicitude de M. Dorrit.

« Lorsque j’ai laissé Mme  Merdle à Rome, continua l’hôte d’un ton insinuant, elle était, ainsi que vous le savez sans doute, la belle des belles… hem !… la reine de toutes les fêtes, le charme de la société romaine. Elle se portait à ravir lors de mon départ. Mme  Merdle passe en général pour une femme des plus attrayantes, et elle le mérite sans aucun doute, ce n’est pas moi qui dirai le contraire.

— Ni vous ni personne, » répondit M. Dorrit.

M. Merdle fit tourner sa langue dans sa bouche fermée… (il paraissait avoir là une langue mal commode et peu flexible)… s’humecta les lèvres, passa de nouveau la main sur son front, puis examina encore une fois la chambre, surtout sous les chaises.

« Mais, dit-il ensuite, regardant M. Dorrit en face pour la première fois et baissant immédiatement les yeux vers les boutons du gilet de son interlocuteur, puisque nous parlons de beauté, c’est de votre fille qu’il faudrait parler. C’est elle qui est merveilleusement belle, aussi bien faite qu’elle est jolie. Lorsque le jeune couple m’est arrivé hier soir, j’ai été vraiment surpris de voir tant de charmes. »

M. Dorrit fut si flatté qu’il répondit… qu’il ne pouvait s’empêcher de répéter verbalement à M. Merdle ce qu’il lui avait déjà dit par écrit : c’est-à-dire de lui exprimer tout le plaisir que lui causait l’union de leurs deux familles. Puis il tendit la main au banquier. Celui-ci regarda un instant la main qu’on lui offrait, la mit sur la sienne comme sur une soucoupe de vermeil ou une truelle à poisson, puis la rendit à M. Dorrit.

« J’ai voulu commencer ma tournée par me faire conduire chez vous, dit M. Merdle, pour me mettre à vos ordres dans le cas où je pourrais vous être bon à quelque chose. D’ailleurs, je voulais vous dire que j’espère bien que vous me ferez au moins l’honneur de dîner chez moi aujourd’hui, et tous les jours où vous ne serez pas engagé pendant votre séjour à Londres. »

M. Dorrit fut ravi de ces attentions délicates.

« Restez-vous longtemps parmi nous, monsieur ?

— Pour le moment, je n’ai pas l’intention, répondit M. Dorrit, de… ah !… dépasser une quinzaine de jours.

— C’est bien peu de temps après un si long voyage.

— Hem. En effet ; mais à vrai dire… ah ! mon cher M. Merdle, je trouve que le climat d’Italie convient si bien à ma santé et à mes goûts que ma visite actuelle n’a… hem !… que deux motifs. D’abord, le… ha… l’honneur et le privilège dont je jouis en ce moment et que je sais apprécier ; ensuite, l’arrangement… hem…