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prêt à souhaiter la bienvenue à Mme  Sparkler. Sa main parut remonter jusqu’au milieu de sa manche lorsqu’il s’avança au devant d’elle, car il mit dans sa poignée de main une telle abondance de parement d’habit que Fanny aurait pu se figurer qu’elle était reçue pur un de ces mannequins populaires, qui sont censés représenter Guy Fawkes[1]. En outre, lorsqu’il approcha ses lèvres de celles de Mme  Sparkler, il se saisit lui-même par les poignets et s’éloigna à reculons, bousculant les causeuses, les chaises et les tables, comme s’il eût été son propre sergent de ville, et qu’il se fût dit à lui-même :

« Voyons, pas de ça ! Allons. Je vous tiens, vous savez ; ainsi, vous ferez bien de vous laisser coffrer tranquillement ! »

Mme  Sparkler, installée dans les appartements de réception… dans le sanctuaire le plus intime d’édredon, de soie, de perse et de toile fine… sentit que jusque-là son triomphe était complet, et qu’elle faisait un pas de plus tous les jours. La veille de son mariage, elle avait donné à la femme de chambre de Mme  Merdle, d’un air de gracieuse indifférence, en présence de sa maîtresse, un petit souvenir de rien (un bracelet, un chapeau et deux robes, tout battant neufs), qui valait au moins quatre fois les cadeaux que Mme  Merdle avait autrefois faits à la danseuse. Elle était en ce moment installée dans l’appartement de cette dame, auquel on avait ajouté quelques embellissements afin de le rendre plus digne d’être occupé par son hôtesse nouvelle. Tandis qu’elle s’y dorlotait, entourée de tous les accessoires de luxe que l’argent peut procurer ou que l’esprit humain peut inventer, elle voyait sa blanche poitrine qui se soulevait à l’unisson de ses pensées, rivaliser désormais avec la poitrine trop longtemps célèbre, qu’elle allait éclipser, et détrôner. Heureuse ? Mais oui, Fanny avait lieu d’être heureuse. Je suis sûr qu’elle ne s’écriait plus qu’elle voudrait être morte.

Le courrier n’avait pas consenti à ce que M. Dorrit logeât chez un ami. Il avait préféré le conduire dans un hôtel de Brook-Street, Grosvenor-Square. M. Merdle commanda sa voiture pour le lendemain de bonne heure, afin de rendre visite à M. Dorrit dès qu’il aurait déjeuné.

La voiture brillait, les chevaux bien nourris reluisaient, les harnais flamboyaient et les livrées étaient riches et cossues. Un équipage somptueux et solide ; pour tout dire, une voiture digne d’un Merdle. Les gens matinaux se retournaient dans la rue pour la regarder tandis qu’elle brûlait le pavé, et disaient avec un respect qui leur coupait la respiration : « Le voilà qui passe ! »

Et il passa jusqu’à ce que Brook-Street vint l’arrêter. Alors le joyau sortit de son écrin magnifique ; car ici ce n’était pas le joyau qui brillait par lui-même : c’était tout le contraire.

  1. Le 5 novembre, en commémoration de la fameuse conspiration des poudres, les Anglais ont coutume de promener par les rues, puis de brûler l’effigie de Guy Fawkes. (Note du traducteur.)