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page de grande cérémonie que conduisait Mme Général. Lui préparer son souper ! Mais si M. Dorrit eût éprouvé le besoin de souper, il y avait là un cuisinier italien et un pâtissier suisse qui auraient commencé par mettre des bonnets aussi élevés que la mitre du pape et par se livrer à une foule de mystères alchimiques dans un laboratoire plein de casseroles de cuivre, avant de permettre à leur seigneur et maître d’avaler une seule bouchée.

M. Dorrit, ce soir-là, fut sentencieux et didactique. S’il avait voulu être aimant tout bonnement, il aurait fait beaucoup plus de bien à la petite Dorrit ; mais elle l’accepta tel qu’il était (quand donc ne l’avait-elle pas accepté tel qu’il était !)… et fit contre fortune bon cœur. Enfin Mme Général se retira. Sa façon de prendre congé le soir était la plus glaciale des cérémonies : on eût dit qu’elle croyait nécessaire de pétrifier sur place l’imagination des gens afin de leur ôter la fantaisie de songer à elle. Lorsqu’elle eut accompli ces roides préliminaires, qui ressemblaient fort à une charge en douze temps à l’usage du monde élégant, elle s’éloigna. Alors la petite Dorrit passa le bras autour du col de son père en lui disant bonsoir.

« Amy, ma chère, dit M. Dorrit en lui prenant la main, cette soirée couronne un jour qui… hem !… qui m’a vivement impressionné et charmé.

— Et un peu fatigué aussi, cher père ?

— Non ; du tout. Je ne puis ressentir aucune fatigue à la suite d’une circonstance remplie… hem !… de joies aussi pures. »

La petite Dorrit fut enchantée de trouver son père dans d’aussi heureuses dispositions, et elle sourit du fond du cœur.

« Ma chère, continua M. Dorrit c’est là un événement… hem !… qui doit servir d’exemple ; qui doit vous servir d’exemple, à vous, mon enfant favorite et dévouée. »

La petite Dorrit, effrayée par ce préambule, ne sut que dire, bien que son père eût cessé de parler, comme s’il attendait une réponse.

« Amy, poursuivit-il après un moment de silence, votre chère sœur, notre Fanny, a contracté… ha ! hem !… un mariage qui est de nature à étendre nos… hem !… relations et à… hem !… consolider notre position sociale. Mon amour, j’espère que le temps n’est pas loin où il se présentera pour vous… hem !… un parti convenable.

— Oh ! non. Laissez-moi rester auprès de vous. Je vous en supplie et je vous en conjure. Je ne demande qu’à rester auprès de vous pour vous soigner. »

Elle prononça ces paroles en proie à une vive terreur.

« Allons, Amy, répondit M. Dorrit. Pas d’enfantillage. Votre… hem !… position vous impose une certaine responsabilité. Vous êtes tenue de développer cette position et de vous en montrer digne. Quant à me soigner, je puis… ah !… me soigner moi-même. Ou bien, ajouta-t-il après un nouveau silence, s’il fallait quelqu’un