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— Je vous demande pardon, monsieur, plaida Tinkler, je désirais savoir…

— Vous ne désiriez rien savoir du tout, interrompit M. Dorrit, le teint très-animé. Ne me dites pas que vous désiriez savoir. Ah ! je sais bien que ce n’est pas cela. Vous vouliez vous moquer de moi.

— Je vous assure bien, monsieur… commença Tinkler.

— Ne m’assurez pas ! Je ne veux pas qu’un domestique m’assure ! Vous vous moquiez de moi. Je vous renverrai… hem !… je renverrai tous mes gens. Qu’attendez-vous encore ?

— Je n’attends que vos ordres, monsieur.

— C’est faux. Vous les avez, mes ordres… Ah !… hem !… Mes compliments à Mme  Général, et dites-lui que je la prie de me faire le plaisir de passer chez moi, si elle n’est pas autrement occupée. Voilà mes ordres. »

En s’acquittant de sa mission, peut-être Tinkler ajouta-t-il que M. Dorrit bouillait de colère. Quoi qu’il en soit, on entendit bientôt au dehors le frou-frou des jupes de Mme  Général, se rapprochant… on pourrait presque dire bondissant… avec une vitesse inaccoutumée. Néanmoins lesdites jupes se calmèrent avant de franchir le seuil, et se présentèrent avec leur sang-froid habituel.

« Madame Général, dit M. Dorrit, veuillez prendre un siège. »

La veuve de l’intendant militaire remercia par une courbe gracieuse avant de se laisser glisser dans le fauteuil que lui offrait M. Dorrit.

« Madame, poursuivit ce gentleman, comme vous avez eu l’obligeance d’entreprendre… hem !… de former mes filles, et comme je suis persuadé que rien de ce qui les concerne ne saurait… hem !… vous être indifférent…

— Tout à fait impossible, remarqua Mme  Général avec un calme merveilleux.

— … Je désire donc vous annoncer, madame, que ma fille ici présente… »

Mme  Général adressa une légère inclinaison de tête à Fanny, qui répondit par un salut très-profond, puis se redressa avec beaucoup de roideur.

« … Que ma fille aînée… hem !… a promis d’épouser M. Sparkler, que vous connaissez. Par conséquent, madame, vous allez être débarrassée d’une moitié de votre tâche difficile… hem !… difficile, répéta M. Dorrit en lançant à Fanny un regard irrité. Mais ceci, je l’espère, ne… hem !… n’amènera aucun changement direct ou indirect dans la position que vous avez eu l’obligeance d’accepter auprès de ma famille.

— Monsieur Dorrit, répondit Mme  Général, dont les mains gantées restèrent posées l’une sur l’autre dans un repos exemplaire, est plein d’égards, et mes petits services d’amitié ne valent pas l’estime qu’il en veut bien faire. »

(Fanny toussa, comme pour dire : « Vous avez bien raison. »)