Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sa politesse, qui était extrême, ne lui permit pas de souffrir que la jeune demoiselle fût obligée de s’éclairer elle-même ou de descendre seule. Il lui prit la lampe des mains, la tint de façon à jeter le plus de clarté possible sur les marches de pierre, et l’accompagna jusqu’au réfectoire. Elle descendit, dissimulant avec beaucoup de peine le sentiment de crainte qui lui donnait envie de reculer et de trembler devant son compagnon ; car ce voyageur produisait sur elle une impression singulièrement désagréable. Avant le souper, tandis qu’elle se tenait dans son coin obscur, elle s’était si souvent demandé si cet homme ne s’était pas rencontré déjà dans certaines scènes et dans certains endroits qu’elle connaissait, qu’il avait presque fini par lui inspirer de l’aversion, ou plutôt une véritable terreur.

Il la suivit avec sa politesse souriante, entra avec elle, et reprit la meilleure place au coin de la cheminée. Là, aux clartés vacillantes du feu qui commençait à baisser, il allongeait les jambes afin de les mieux chauffer, buvant le reste du vin chaud jusqu’à la lie, tandis qu’une ombre monstrueuse imitait ses mouvements sur le mur et le plafond.

Les voyageurs fatigués s’étaient dispersés et retirés dans leurs chambres à l’exception du père de la jeune fille qui sommeillait dans sa chaise auprès du feu. Le touriste insinuant avait pris la peine de monter assez haut pour chercher sa gourde d’eau-de-vie dans sa chambre à coucher. Du moins, il leur fit cette confidence, tout en versant le contenu dans le peu de vin qui restait, et en buvant ce mélange avec un nouveau plaisir.

« Oserais-je vous demander, monsieur, si vous vous rendez en Italie ? »

Le gentleman aux cheveux gris s’était réveillé et se disposait à se retirer. Il répondit affirmativement.

« Moi aussi ! répondit le buveur. J’espère donc que j’aurai l’honneur de vous présenter mes respects devant un plus beau paysage et sous un climat plus propice que celui de ces sombres montagnes. »

Le gentleman salua avec assez de roideur, et répondit qu’il lui était bien obligé.

« Nous autres gentilshommes pauvres, monsieur, continua ce dernier en essuyant sa moustache avec ses doigts (car il l’avait trempée dans son mélange de vin et d’eau-de-vie), nous autres gentilshommes pauvres, nous ne pouvons pas voyager en princes, mais les courtoisies et les politesses sociales ne nous en sont pas moins chères pour cela. À votre santé, monsieur !

— Monsieur, je vous remercie.

— À la santé de votre aimable famille… des charmantes demoiselles, vos filles !

— Monsieur, je vous remercie encore une fois. Je vous souhaite le bonsoir… Ma chère, nos… hem !… nos gens sont-ils là ?

— Ils sont à deux pas, père.