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craindre que rien de ce qui semble m’appartenir ne m’appartienne en effet. Vous confierai-je un grand secret ?

— Confiez, monsieur, si vous m’en croyez digne.

— Je vous en crois très-digne.

— Vous avez raison ! »

La réponse vive et laconique de M. Pancks, confirmée par le geste subit avec lequel il tendit à Clennam sa main de charbonnier était aussi expressive que convaincante. Arthur secoua cordialement cette main.

Alors, adoucissant la nature de ses anciennes craintes autant qu’il le pouvait, sans courir le risque de ne pas se faire comprendre, mais évitant de jamais nommer sa mère, et parlant seulement d’une parente supposée, il donna à M. Pancks une vague idée des appréhensions qui l’avaient inquiété et de l’entrevue à laquelle il avait assisté. M. Pancks écouta ce récit avec tant d’intérêt, qu’insensible aux charmes de la pipe orientale, il la posa sur le garde-cendres auprès des pelles et des pincettes ; uniquement occupé de relever les mèches et les épis de sa chevelure hérissée, si bien qu’à la fin de l’histoire il avait tout l’air d’un Hamlet moderne en tête à tête avec le fantôme paternel.

« Ça me ramène, s’écria-t-il, touchant d’une façon si inattendue le genou de son hôte que celui-ci en tressaillit, ça me ramène, monsieur, à la question des placements ! Je ne dirai rien de votre intention de vous appauvrir, le cas échéant, pour réparer un mal que vous n’avez pas fait. Je vous reconnais bien là. On ne peut pas forcer un homme à agir contre sa nature. Mais voici ce que je veux vous dire. Dans la crainte que vous n’ayez besoin d’argent pour sauver les vôtres de la honte ou du déshonneur, amassez-en le plus possible. »

Arthur secoua la tête, mais il regardait son interlocuteur d’un air rêveur.

« Devenez aussi riche que vous le pourrez, monsieur, reprit Pancks, concentrant toute son énergie pour donner plus de force à cette adjuration. Devenez aussi riche que vous le pouvez honnêtement. C’est votre devoir. Non par égoïsme, mais en vue des autres. Saisissez l’occasion aux cheveux. Ce pauvre M. Doyce (qui, lui, commence vraiment à vieillir) compte sur vous. Votre parente compte sur vous. Vous ne savez pas ce qu’on peut avoir à vous demander plus tard.

— Allons, allons ! répondit Arthur. En voilà assez pour ce soir.

— Encore un mot, monsieur Clennam, et puis nous n’en reparlerons plus. Pourquoi laisser tous les profits aux goulus, aux fripons et aux imposteurs ? Pourquoi abandonner des profits certains à mon propriétaire et à ceux qui lui ressemblent ? C’est pourtant ce que vous faites tous les jours. Quand je dis vous, j’entends les gens comme vous. Vous ne pouvez pas nier le fait. Il se renouvelle chaque jour sous mes yeux. Je ne vois que cela. C’est mon