en achetant divers petits articles d’épicerie dont ils étaient habitués à se passer, se disant les uns aux autres, pour justifier ces dépenses de luxe, que, s’ils tendaient un peu la corde, c’était pour rendre service à une voisine, ou plutôt à une amie. Et si on ne se sacrifiait pas pour une voisine ou une amie, pour qui donc se sacrifierait-on ? Ainsi patronné, le commerce de Mme Plornish devint plus florissant, et les marchandises au magasin disparurent avec une rapidité extrême. Bref, si les Cœurs Saignants avaient payé, leur protégée se serait trouvée dans une situation très-prospère ; mais, comme ils se bornaient à prendre tout à crédit, les profits réalisés jusqu’à ce jour ne figuraient pas encore dans les livres de la maison Plornish.
M. Pancks, à cet exposé de la situation financière de Mme Plornish, sentait les mèches de sa chevelure rebelle se dresser sur sa tête ; il avait tout l’air d’un véritable hérisson, lorsque le vieux M. Naudy, rentrant dans la chaumière d’un air mystérieux, les pria de venir voir la mine étrange de M. Baptiste, qui semblait avoir rencontré quelqu’un ou quelque chose qui lui avait fait peur. Tous trois gagnèrent la boutique, et, regardant par la croisée, virent en effet M. Baptiste, pâle et agité, exécuter des évolutions assez singulières. D’abord on le vit se cacher en haut des marches du petit escalier qui conduisait à la cour, regardant à droite et à gauche dans la rue, la tête prudemment collée à côté de la porte du magasin. Après un examen inquiet, il quitta sa retraite et remonta rapidement la rue, comme s’il s’en allait tout de bon ; puis il se retourna soudain et redescendit la rue du même pas et en faisant la même feinte. Après avoir fait à peu près autant de pas pour descendre la rue que pour la monter, il traversa la chaussée et disparut. Le but de cette dernière manœuvre ne fut révélé aux spectateurs qu’au moment où Cavalletto, apparaissant une seconde fois en haut de l’escalier, entra tout à coup dans la boutique ; il était clair qu’il avait fait un grand détour jusqu’à l’autre entrée de la cour (c’est-à-dire jusqu’au côté où se trouvait la fabrique Doyce et Clennam), qu’il avait traversée au galop pour rentrer furtivement. Il était tout essoufflé (ce qui n’avait rien d’étonnant), et son cœur semblait aller plus vite que la petite sonnette qui s’agitait et tintait au haut de la porte à claire-voie, qu’il venait de refermer à la hâte.
« Holà ! mon vieux s’écria M. Pancks. Quoi donc, Altro ? qu’est-ce que vous avez ? »
M. Baptiste, ou signor Cavalletto, comprenait maintenant l’anglais aussi bien que M. Pancks lui-même, et ne le parlait pas trop mal. Cela n’empêcha pas Mme Plornish, qui tirait une vanité bien pardonnable de ce talent polyglotte, qui faisait presque d’elle une Italienne, de s’interposer comme interprète.
« Lui demander savoir, expliqua Mme Plornish, ce que vous avez. »
— Entrons dans l’heureuse chaumière, padrona, répondit Ca-