Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’arrière-boutique de Mme  Plornish avait été décorée sous sa propre direction, et figurait du côté du magasin une petite fiction qui réjouissait on ne peut plus le cœur de cette dame. L’invention poétique dont on avait embelli le petit salon consistait dans une peinture à fresque représentant l’extérieur d’une chaumière, l’artiste ayant conservé (de façon à produire autant d’effet que le permettaient leurs dimensions disproportionnées) la porte et la croisée de la chambre. Les soleils et les roses trémières fleurissaient à foison sur cette demeure rustique, tandis qu’une colonne d’épaisse fumée qui s’échappait de la cheminée annonçait qu’on faisait bonne chère à l’intérieur, et peut-être aussi que le ramoneur n’avait pas passé par là depuis longtemps. On voyait sur le seuil un chien fidèle qui s’apprêtait à mordre les mollets de l’inoffensif visiteur ; un pigeonnier circulaire enveloppé d’un nuage de pigeons s’élevait derrière la haie de clôture du jardin. Sur la porte (lorsqu’elle était fermée), on voyait le simulacre d’une plaque de cuivre avec cette inscription :

L’HEUREUSE CHAUMIÈRE.
T. et M. Plornish.

Les deux initiales représentaient la raison sociale représentée par les époux Plornish. Jamais la poésie, jamais l’art n’ont réussi à charmer l’imagination autant que leur réunion dans cette chaumière pour rire charmait la digne Mme   Plornish. Peu lui importait que Plornish eût l’habitude de s’y appuyer en fumant sa pipe aux heures du repos, que son chapeau engouffrât le pigeonnier et tous les pigeons, que son dos cachât la maison, que ses mains enfoncées dans ses poches déracinassent le jardin fleuri, et ravageassent la campagne adjacente. Aux yeux de Mme  Plornish, la chaumière n’en était pas moins une ravissante demeure, un merveilleux trompe-l’œil. Peu lui importait que le nez de M. Plornish fût à quelques pouces au-dessus du niveau de la croisée du second étage. C’était une véritable pastorale pour Mme  Plornish, une renaissance de l’âge d’or, que de rentrer dans la boutique après l’heure de la fermeture, et d’entendre le vieux Naudy roucouler ses bergerades. Et certes, si cette célèbre époque mythologique vient jamais à renaître, ou même si elle a jamais existé, il est permis de douter qu’elle pût fournir beaucoup de filles qui admirassent leur père aussi cordialement que cette pauvre femme.

Avertie par la sonnette de la boutique de l’arrivée d’un visiteur, Mme  Plornish sortit de l’heureuse chaumière pour voir qui c’était.

« J’avais deviné que c’était vous, monsieur Pancks, dit-elle, car c’est votre jour, n’est-ce pas ? Voici Père, vous voyez, qui arrive au bruit de la sonnette pour servir la pratique, vif et alerte comme un jeune garçon de boutique qu’il est. A-t-il bonne mine, hein ? Père est plus heureux de vous voir que si vous étiez une pratique, monsieur Pancks, car il aime bien faire sa petite causette ; et quand