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mencé à m’appeler Amy, je lui ai raconté ma courte histoire, je lui ai dit que vous me nommiez toujours la petite Dorrit, et que je préférais ce nom à tout autre ; depuis ce temps elle ne m’appelle pas non plus autrement que sa petite Dorrit.

« Peut-être n’avez-vous pas encore reçu de nouvelles de son père ou de sa mère, et ne savez-vous pas qu’elle a eu un petit garçon. Il est né avant-hier, huit jours après l’arrivée de M. et Mme  Meagles, qui en ont été bien heureux. Cependant je dois vous dire, puisque je me suis engagée à ne rien vous taire, qu’ils m’ont l’air d’être un peu gênés vis-à-vis de leur gendre, et que ses manières railleuses à leur égard leur paraissent une moquerie de leur amour pour elle. Pas plus tard qu’hier, lundi, tandis que je me trouvais là, j’ai vu M. Meagles changer de couleur, se lever et sortir, comme s’il avait peur, en restant, de ne pas pouvoir s’empêcher de dire ce qu’il en pensait. Pourtant le père et la mère sont si pleins d’égards, si gais et si raisonnables, que leur gendre devrait bien les ménager. C’est grand dommage qu’il ne songe pas un peu plus à eux.

« J’ai voulu mettre mon dernier point avant de relire ma lettre. Maintenant que je viens de la relire, je trouve que j’ai voulu savoir et vous expliquer tant de choses, que je ferais aussi bien de ne pas vous l’envoyer ; mais toutes réflexions faites, j’espère que vous devinerez tout de suite que, si j’ai tant observé, tant remarqué de choses, c’est pour vous seul que je l’ai fait, parce que je savais que le sujet vous intéressait. Vous pouvez être certain que je n’ai pas eu d’autre motif.

« Et maintenant que l’objet principal de ma lettre est rempli, il ne me reste pas grand’chose à vous dire.

« Nous nous portons très-bien, et Fanny gagne de jour en jour. Vous ne sauriez croire combien elle est bonne pour moi, et quelle peine elle se donne pour me façonner aux bonnes manières. Elle a un amoureux qui l’a suivie, d’abord depuis la Suisse jusqu’à Venise, puis de Venise jusqu’ici, et qui m’a récemment confié qu’il a l’intention de la suivre partout où elle irait. J’ai été un peu troublée quand il m’a fait part de cette résolution, mais il a fallu bon gré mal gré qu’il fît de moi sa confidente. Je ne savais que dire, mais enfin je lui ai répondu que, selon moi, il ferait mieux de ne pas se donner cette peine ; car Fanny (mais je ne lui ai pas dit cela) est beaucoup trop vive et trop spirituelle pour lui. Néanmoins, il m’a dit qu’il essaierait tout de même. Quant à moi, je n’ai pas d’amoureux, ça va sans dire.

« Si vous avez jamais la patience de me lire jusqu’ici, vous vous direz peut-être : Ah çà ! est-ce que ma petite Dorrit va finir sa lettre sans me parler de ses voyages ? Il est grand temps qu’elle en dise quelque chose. Je pense comme vous, mais je ne sais que vous dire. Depuis que nous avons quitté Venise, nous avons visité beaucoup de merveilles, Gênes et Florence entre autres, et nous avons eu sous les yeux tant de vues merveilleuses que, lorsque je pense à la foule