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j’emprunte ceux de Mme Gowan. Car il est facile de voir qu’elle a été élevée avec tendresse dans un heureux et bien-aimé chez elle. Je l’aurais deviné quand même elle ne m’en aurait pas parlé avec amour.

« C’est donc un logement assez mal meublé au sommet d’un escalier assez sombre qui sert à tout le monde : il se compose presque entièrement d’une grande salle fort triste dont M. Gowan a fait son atelier. Le bas des fenêtres est bouché, de sorte qu’on ne peut pas regarder dehors, et les murs sont couverts de dessins à la craie ou au fusain, tracés par des locataires précédents, depuis bien, bien des années ! Un rideau (jadis rouge, mais aujourd’hui couleur de poussière) divise la chambre en deux parties : celle qui se trouve derrière cette toile sert de salon. La première fois que j’y ai vu Mme Gowan, je l’ai trouvée toute seule ; son ouvrage lui était tombé des mains, et elle regardait le soleil qui brillait à travers les vitres les plus élevées des croisées. N’allez pas vous inquiéter de ce que je vous dis, mais je dois avouer que cet intérieur n’était pas tout à fait aussi joyeux, aussi brillant, aussi gai, aussi heureux, ni aussi jeune que je l’aurais voulu.

« Comme M. Gowan fait le portrait de papa (je l’ai vu à l’œuvre, sans cela il est possible que je n’eusse pas reconnu mon père à la ressemblance), j’ai plus d’occasions de voir sa femme que je n’en aurais eu sans cet heureux hasard. Elle est bien souvent… trop souvent… seule.

« Vous raconterai-je ma seconde visite ? Je suis allée la voir un jour, que j’avais pu par hasard courir chez elle sans être accompagnée, vers quatre ou cinq heures du soir. Elle dînait toute seule (son repas solitaire lui avait été apporté de quelque endroit du voisinage), n’ayant pas d’autre société et n’en attendant pas d’autre que celle du vieillard qui lui avait monté son dîner. Il était en train de lui raconter une longue histoire de brigands dans la campagne, qui avaient été épouvantés par la statue d’un saint ; c’était pour l’amuser, me dit-il lorsque je redescendis avec lui : « Il savait bien comment amuser les filles, parce qu’il en avait une lui-même, mais qui était loin d’être aussi jolie. »

« Il faut que je vous parle maintenant de M. Gowan avant de finir le peu qu’il me reste à dire de madame. Il doit admirer la beauté de sa femme et en être fier, car tout le monde en parle ; il doit l’aimer, et je ne doute pas qu’il l’aime… à sa manière. Vous connaissez sa manière, et s’il vous paraît aussi insouciant et aussi grognon qu’à moi, je n’ai pas tort de croire que Mme Gowan aurait pu trouver quelqu’un qui lui eût mieux convenu. Si cela ne vous a pas frappé, certainement alors c’est que je me trompe ; car votre pauvre enfant (toujours la même) a plus de confiance dans votre jugement et dans votre bonté, qu’elle ne saurait vous le dire, quand même elle essayerait de le faire, mais ne vous effrayez pas, je ne veux pas essayer.

« Par suite (toujours d’après moi, en supposant que vous pensiez