Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Ce qui m’étonne, continua ce dernier, c’est qu’elle n’ait pas encore fait l’affaire à mon propriétaire, comme étant le seul individu au fait de son histoire sur qui elle puisse mettre la main. À propos, je vous dirai, entre nous, que moi-même je me sens quelquefois disposé à lui faire son affaire.

— De grâce, Pancks, ne parlez pas ainsi !

— Entendons-nous, dit Pancks, allongeant sur le manche d’Arthur cinq doigts sales, dont il avait rongé les ongles à profit. Je ne veux pas dire que je lui couperai la gorge. Mais, par tout ce qu’il y a de sacré, s’il va trop loin, je lui couperai les cheveux ! »

Après s’être montré sous un nouveau jour par cette terrible annonce, M. Pancks, avec un visage plein de gravité, renifla plusieurs fois, et s’éloigna à toute vapeur.




CHAPITRE X

Les rêves de Mme  Jérémie se compliquent.


Dans les antichambres nombreuses du ministère des Circonlocutions, où Clennam passait beaucoup de temps en compagnie d’autres coupables condamnés à être écartelés sur la même route administrative, il avait trouvé tout le loisir d’épuiser en trois ou quatre jours les sujets de réflexion que lui avait suggérés la récente rencontre de Mlle  Wade et de Tattycoram. Mais il avait beau y réfléchir, il n’y voyait pas plus clair, et fut obligé d’en rester sur cette incertitude contrariante.

Dans l’intervalle, il n’avait pas visité la sombre maison de sa mère. Un des soirs qu’il avait coutume de consacrer à ce devoir étant arrivé, il quitta son logis et son associé vers neuf heures, pour se diriger lentement vers la lugubre demeure de son enfance.

Son imagination se représentait toujours la maison maternelle colère, mystérieuse et triste, et son imagination était assez profondément émue pour prêter à tout le voisinage un peu de cette ombre sinistre. Tandis qu’il s’avançait donc par une triste soirée, les rues mal éclairées qu’il traversait lui paraissaient accablées sous le poids de quelques lourds secrets. Les comptoirs de commerce déserts, avec leur secret grimoire de registres et de papiers dans des coffres-forts ; les maisons de banque avec leurs caisses secrètes bardées de fer et leurs caveaux secrets, dont la clef se trouvait dans un petit nombre de poches secrètes et dans quelques poitrines non moins secrètes ; les secrets de tous les travailleurs dispersés de ce vaste chantier commercial (parmi lesquels il y avait sans doute des voleurs, des faussaires et des