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savez, continua Flora rapprochant sa chaise de celle de Clennam, à propos de la bonne chère petite Dorrit et de tous ses changements de fortune… ce sont des gens à équipage maintenant, sans aucun doute… avec des chevaux sans nombre… Quelle histoire romanesque… Ils ont des armoiries naturellement, avec des bêtes assises sur leur séant et allongeant les pattes de devant pour montrer ces armes comme un écolier montre une page d’écriture qu’il vient de finir… et des gueules larges comme ça… bonté divine… et jouit-elle d’une bonne santé ? Car c’est là la première chose au monde, puisque après tout, les richesses ne sont rien sans la santé… M. Flinching lui-même disait, lorsque la goutte le tourmentait, qu’il aimerait mieux ne gagner que six pence par jour sans la nourriture, pourvu qu’il se portât bien, non qu’il eût pu vivre avec cela, tant s’en faut, ou que cette chère petite… je me sers là d’une expression trop familière… fût le moins du monde sujette à la goutte… beaucoup trop frêle pour cela… car elle avait l’air bien faible. Dieu la bénisse ! »

La tante de M. Finching, qui avait rongé une de ses rôties jusqu’à la croûte, offrit d’un air solennel cette croûte à Flora, qui la mangea, ma foi ! comme si c’était une affaire entendue. Alors la tante de M. Finching humecta l’un après l’autre ses dix doigts en les passant sur ses lèvres avec une lenteur impartiale et les essuya dans le même ordre de succession sur le mouchoir blanc ; puis elle prit l’autre rôtie et commença à l’expédier ; tout en poursuivant cet exercice routinier, elle contemplait Clennam d’un air si sévère qu’il se crut obligé de la regarder à son tour, bien à contre-cœur.

« Elle est en Italie avec toute sa famille, Flora, répondit-il lorsque la terrible tante eut cessé de le regarder pour s’occuper de son pain grillé.

— Comment, la voilà en Italie ? dit Flora, dans ce pays où les raisins et les figues poussent partout et les colliers et les bracelets de lave aussi… ce pays de la poésie, orné de montagnes brillantes, pittoresques au delà de toute croyance… Si les petits joueurs s’enfuient de ce voisinage afin de ne pas être roussis, il n’y a rien d’étonnant à cela vu leur âge, et s’ils emmènent leurs souris blanches avec eux, c’est on ne peut plus humain… Foule-t-elle vraiment cette terre favorisée où elle ne voit que du bleu et des gladiateurs mourants, et des belvédères, bien que M. Finching, pour sa part, ne crût pas un mot de l’authenticité de ces figures, attendu, disait-il, lorsqu’il était de bonne humeur, que ces statues ne pouvaient être que des images infidèles ; qu’on n’y voyait pas de milieu entre la profusion de linge mal amidonné dont elles étaient drapées, et pas de linge du tout… ce qui en effet ne paraît guère probable, à moins de l’expliquer par l’extrême misère ou l’extrême opulence des sujets, qui n’admettrait pas de milieu. »

Arthur essaya de glisser un mot, mais Flora reprit au pas de course :