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qui se trouvait dans la rue même, à une portée de pierre de la prison.

« Connaissez-vous Mlle Dorrit ? » demanda le nouveau client.

Le commissionnaire hétéroclite connaissait deux demoiselles Dorrit ; une qui était née dans la prison…, c’est celle-là !… Ah ! c’est celle-là ? Le commissionnaire la connaissait depuis bien des années. Quant à l’autre Mlle Dorrit, elle habitait avec son oncle la même maison que ledit commissionnaire.

Ce dernier renseignement changea les intentions du client, qui s’était presque décidé à envoyer le messager hétéroclite en éclaireur, et à attendre dans le café qu’il revînt lui dire que la petite Dorrit s’était montrée dans la rue. Il aima mieux le charger d’un message confidentiel pour la jeune fille, à laquelle il fit dire, en résumé, que le visiteur qu’elle avait vu la veille chez le doyen désirait lui dire quelques mots chez son oncle. Arthur ayant obtenu des renseignements précis quant au domicile de ce dernier, qui demeurait dans le voisinage, expédia donc le commissionnaire, qu’il renvoya enchanté d’une gratification de trois shillings ; puis, après avoir déjeuné à la hâte, il s’empressa de se diriger vers la demeure du vieux musicien.

Il y avait tant de locataires dans la maison en question que les montants de la porte étaient ornés de boutons de sonnette aussi nombreux que ceux du clavier d’un orgue de cathédrale. Ne sachant pas au juste distinguer quelle était la sonnette du vieux musicien, il cherchait le moyen de résoudre ce problème, lorsqu’un volant, sorti comme une fusée d’une fenêtre du rez-de-chaussée, vint s’abattre sur son chapeau. Il remarqua alors qu’un store à hauteur d’appui qui protégeait le bas de cette croisée portait l’inscription suivante : Institution Cripples, et un peu plus bas : Classe du soir. Derrière le store se trouvait un petit garçon très pâle, avec une tranche de pain beurrée et une raquette. La fenêtre étant accessible de l’extérieur, Arthur Clennam avança la tête par-dessus le store, rendit le volant et demanda la solution de son problème.

« Dorrit ? répéta le petit garçon très pâle (un jeune Cripples, soit dit en passant) ; monsieur Dorrit ? troisième sonnette à droite et un seul coup de marteau. »

La visiteur sonna et frappa. Les élèves de M. Cripples semblaient avoir pris la porte pour un cahier d’écriture, tant elle était couverte de griffonnages au crayon. La fréquente répétition des mots vieux Dorrit et saligaud de Dick[1], en juxtaposition, donnait à penser que ces petits drôles avaient voulu se livrer à d’offensantes personnalités. M. Clennam eut tout le temps de faire ces observations avant que le pauvre vieillard en personne vînt lui ouvrir.

« Ah ! dit-il, vous avez été pris hier soir ? »

Il lui avait fallu plusieurs minutes pour reconnaître Arthur.


  1. Diminutif de Frédéric