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LA PETITE DORRIT

d’une corde avec un grappin ? Et, dans ce cas, comment pouvait-il redescendre de l’autre côté ? Pouvait-il grimper sur un toit, glisser jusqu’au bas d’un escalier, ouvrir la porte de la rue et se perdre dans la foule ? Et puis, qu’arriverait-il si un incendie venait à éclater tandis qu’il était couché là ?

Ces fleurs d’imagination n’étaient, après tout, que le cadre perpétuel d’un autre tableau qui lui représentait toujours trois personnages : son père, avec ce regard fixe qu’il avait conservé en mourant, tel que l’avait montré par anticipation son portrait prophétique ; sa mère, le bras étendu, repoussant les scrupules soupçonneux de son fils ; la petite Dorrit, posant la main sur le bras dégradé du doyen, et détournant sa tête toute honteuse.

Et, si Mme Clennam avait quelque motif, déjà ancien et connu d’elle seule, pour s’adoucir avec cette jeune fille ? Si le prisonnier, qui en ce moment dormait tranquillement, Dieu le veuille, devait, à la lueur du jugement dernier, accuser Mme Clennam d’avoir causé sa ruine ? Si quelque action secrète de Mme Clennam ou de son mari avait contribué, même de loin, à courber dans l’abjection la tête grise de ces deux frères ?

Une pensée rapide traversa l’esprit d’Arthur. Dans ce long emprisonnement entre les murs de la geôle et sa longue captivité, à elle, entre les murs de sa chambre, Mme Clennam ne voyait-elle pas par hasard une balance de comptes à établir ? « Oui, j’avoue que je suis pour quelque chose dans la ruine de cet homme. Mais j’ai subi les mêmes souffrances que lui. Il a vieilli dans sa prison, moi dans la mienne. Il y a compensation. »

Lorsque toutes les autres pensées se furent évanouies, celle-ci continua à l’obséder. Quand il s’endormit, sa mère se présenta à lui dans son fauteuil à roulettes, le repoussant à l’aide de cette justification. Lorsqu’il se réveilla en sursaut, effrayé sans motif, il entendit les paroles suivantes résonner à son oreille aussi clairement que si la voix de sa mère les eût lentement prononcées à son chevet : « Il languit dans sa prison, je languis dans la mienne ; l’inexorable justice a eu son cours : voilà un compte réglé, je ne dois plus rien là-dessus ! »




CHAPITRE IX.

Petite mère.


Le lendemain matin, le jour ne mit aucun empressement à se glisser jusqu’au sommet des murs de la prison ou à jeter un regard sur les croisées du club, et lorsque enfin il se montra, il ne fut pas