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Il comprit que le ton ému dont elle disait cela tenait à sa piété filiale ; il la respecta et se tut.

« J’ai de grandes obligations à Mme Clennam ; je ne sais pas ce que nous aurions fait sans l’ouvrage qu’elle m’a donné ; je crains que ce ne soit montrer de l’ingratitude que d’avoir des secrets pour elle ; je ne puis en dire davantage ce soir, monsieur. Je suis sûre que vous nous voulez du bien. Merci, merci.

— Permettez-moi de vous faire une question avant de m’éloigner. Y a-t-il longtemps que vous connaissez ma mère ?

— Je crois qu’il y a environ deux ans, monsieur… La cloche a cessé…

— Comment l’avez-vous connue ? Vous a-t-elle envoyé chercher ici ?

— Non. Elle ne sait seulement pas que j’y demeure. Nous avons un ami, père et moi… un pauvre ouvrier, mais le meilleur des amis… J’ai fait annoncer que je désirais faire des travaux de couture et j’ai donné son adresse. Il a fait afficher mes annonces dans quelques endroits où cela ne coûtait rien, et c’est comme cela que Mme Clennam m’a connue et m’a envoyé chercher. La grille va se fermer, monsieur ! »

Elle était si tremblante et si agitée, et lui si vivement touché de compassion pour elle ; il s’intéressait tellement à ce premier aperçu de son histoire, qu’il avait de la peine à la laisser partir. Mais le silence de la cloche et la tranquillité qui régnait dans la cour l’avertissaient de quitter la prison ; et, après lui avoir dit à la hâte quelques bonnes paroles, il la laissa retourner auprès de son père.

Mais il avait trop tardé ; la grille intérieure était fermée, et la loge déserte. Après avoir fait quelques vaines tentatives en frappant avec la main, il s’abandonnait à la désagréable perspective d’avoir une mauvaise nuit à passer, lorsqu’une voix l’accosta par derrière.

« Pris dans la souricière, hein ! dit la voix. Vous voilà obligé de découcher… Ah ! c’est donc vous, monsieur Clennam ? »

C’était la voix de Tip ; et ils restèrent à se regarder l’un l’autre dans la cour de la prison, tandis qu’il commençait à pleuvoir.

« Vous vous êtes mis dedans, remarqua Tip ; il faudra être plus alerte que ça une autre fois.

— Mais vous voilà renfermé aussi, dit Arthur.

— Un peu, que je le suis ! répondit Tip d’un ton sarcastique. Un peu ! mais pas comme vous. Je suis de la boutique ; seulement ma sœur a comme ça une théorie, c’est que mon père ne doit jamais le savoir. Pourquoi ? Je n’en sais rien !

— Puis-je trouver un abri ? demanda Arthur. Qu’ai-je de mieux à faire ?

— La première chose à faire, c’est de mettre la main sur Amy, répliqua Tip, qui en référait tout naturellement à elle dès qu’il s’agissait de sortir d’un embarras quelconque.

— J’aimerais mieux me promener toute la nuit,… que de la déranger ; une nuit est bientôt passée.