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fournir des preuves, avant son départ, à une société d’amis intimes choisis parmi l’aristocratie des détenus, qu’on profita d’un temps favorable pour exécuter un menuet de la cour. Cette représentation eut lieu en plein air, à six heures du matin, dans le promenoir des pensionnaires (aucune des chambres de la communauté n’ayant les dimensions voulues), et on parcourut tant de surface et les pas furent exécutés avec tant de conscience, que le maître de danse, qui était obligé en outre de jouer de la pochette en dansant, en était tout essoufflé.

Le succès de ce début, qui engagea le professeur à continuer ses leçons après qu’on eut levé son écrou, encouragea la sœur de la débutante. Elle guetta et attendit pendant des mois entiers l’arrivée d’une couturière. Enfin, elle vit venir une modiste, et elle se présenta cette fois pour son propre compte.

« Pardon, madame, dit-elle, entr’ouvrant timidement la porte de la modiste, qu’elle trouva dans son lit toute en larmes ; mais je suis née ici. »

Il faut croire que la première personne dont on entendait parler dès qu’on mettait le pied dans la geôle, c’était elle ; car la modiste se souleva dans son lit, en lui disant, tout comme avait fait le maître de danse :

« Oh ! c’est vous qui êtes l’enfant ?

— Oui, madame.

— Je suis fâchée de n’avoir rien à vous donner, reprit la modiste, secouant la tête.

— Ce n’est pas pour cela que je viens. S’il vous plaît, madame, je voudrais apprendre la couture.

— Pourquoi voulez-vous apprendre un pareil état, répondit la modiste, avec un exemple tel que moi devant les yeux ? Cela ne m’a pas servi à grand’chose, vous voyez.

— Je vois bien que tous ceux qui viennent ici n’ont pas trouvé grand secours dans leur état, répondit-elle dans sa simplicité ; mais c’est égal, je voudrais apprendre tout de même.

— Je crains que vous ne soyez trop faible, voyez-vous ? objecta la modiste.

— Je ne crois pas que je sois faible, madame.

— Vous êtes si petite, ma mie ! Car vous êtes extrêmement petite, voyez-vous ?

— Oui, j’ai peur d’être bien petite en effet, » répondit l’enfant de la prison ; et elle commença à sangloter en songeant à ce malheureux défaut qui venait si souvent contrecarrer ses bonnes intentions.

La modiste (car elle n’était ni morose ni méchante ; elle n’était que de mauvaise humeur de sa nouvelle situation et de son nouveau domicile) fut touchée de la voir si patiente et si douce ; elle mit de la bonne volonté à l’accueillir, et fit bientôt de son élève docile et zélée une ouvrière très adroite.

À la même époque précisément, le doyen des détenus commençait