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LA PETITE DORRIT

de leur côté, lorsque le maçon cria : « Dites donc, monsieur ! et revint vers le doyen. C’est bien peu de chose, dit le maçon, déposant un petit tas de sous dans la main du vieillard, mais l’intention est bonne. »

C’était la première fois que l’on offrait son tribut au vénérable doyen sous la forme d’une monnaie de billon. Ses enfants avaient souvent accepté une redevance de ce genre, qui, du plein consentement du père, était retombée dans la bourse commune pour servir à acheter de la viande qu’il avait mangée et de la bière qu’il avait bue ; mais une blouse tout éclaboussée de chaux blanche oser le regarder en face en lui faisant hommage de quelques sous ! Voilà du nouveau par exemple !

« Comment osez-vous… ? dit-il à cet homme ; puis il eut la faiblesse de fondre en larmes.

Le maçon lui tourna le visage vers le mur, afin qu’on ne vît pas qu’il pleurait ; et il y avait quelque chose de si délicat dans sa façon d’agir, et il paraissait si pénétré de repentir, et demandait pardon si franchement, que le vieillard ne put faire moins que d’accepter ses excuses en disant :

« Je sais que l’intention était bonne. N’en parlons plus.

— Je crois bien, monsieur, qu’elle était bonne, continua le maçon. J’irai un peu plus loin que les autres pour vous obliger, j’en réponds.

— Comment cela ?

— Je reviendrai vous voir après qu’on m’aura laissé sortir.

— Rendez-moi l’argent, s’écria le vieillard avec empressement ; je veux le garder et je ne le dépenserai jamais. Et je vous remercie, je vous remercie beaucoup ! Vous reviendrez me voir ?

— Vous me reverrez dans huit jours, si je suis encore en vie. » Ils échangèrent une poignée de main et se séparèrent. Ce soir-là, les prisonniers réunis pour festoyer dans une sorte de café se demandèrent ce qui était arrivé à leur Père : il se promenait si tard dans l’obscurité de la cour et paraissait si triste !






CHAPITRE VII.

L’enfant de la Maréchaussée.


L’enfant qui, en venant au monde, avait respiré dans son premier souffle l’odeur de l’eau-de-vie du docteur Haggage, fut transmise de génération en génération parmi les pensionnaires, ainsi que l’avait été la tradition relative à leur Père commun. Dans les premiers