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Il arrivait assez souvent qu’on glissait le soir sous la porte du vieux débiteur des lettres adressées au Père de la Maréchaussée, renfermant tantôt une demi-couronne, tantôt deux demi-couronnes et parfois, à d’assez longs intervalles, une demi-guinée : « Avec les compliments d’un membre de la communauté qui va prendre congé de ses camarades. » Le bénéficiaire acceptait ces cadeaux comme un libre tribut offert à un personnage officiel par ses sujets reconnaissants. Parfois aussi ces correspondants adoptaient les pseudonymes facétieux, tels que : Fier-Gaillard, Souffle-Dessus, Vieille-Ganache, l’Éveillé, Concombre, Grognon, Va-Toujours, le Marchand de Tripes ; mais notre doyen regardait ces plaisanteries comme de mauvais goût, et il n’aimait pas cela.

À la longue, cette correspondance offrant des symptômes d’épuisement, et paraissant exiger, de la part des correspondants, un effort que peu d’entre eux étaient capables de faire au milieu du brouhaha d’un départ précipité, le doyen prit l’habitude d’accompagner jusqu’au guichet les libérés d’une certaine position sociale, et de leur faire ses adieux sur le seuil même de la prison. Le libéré ainsi honoré, après avoir échangé une poignée de main avec le doyen, s’arrêtait ordinairement pour envelopper quelque chose dans un morceau de papier, et revenait sur ses pas pour crier :

« Eh ! dites-donc ! »

Le doyen se retournait alors d’un air surpris.

« Moi ? » demandait-il avec un sourire.

À cet endroit de la conversation, le débiteur libéré ayant rejoint le doyen, celui-ci ajoutait d’un ton paternel :

« Qu’avez-vous oublié ? que puis-je faire pour vous ?

— J’ai oublié de faire remettre ceci, répondait l’autre, presque toujours, au Père de la Maréchaussée.

— Mon cher monsieur, répliquait le doyen, il vous est infiniment obligé. »

Mais jusqu’à la fin la main irrésolue d’autrefois restait dans la poche où elle avait glissé l’argent, pendant que le doyen faisait deux ou trois tours dans la cour, pour dissimuler autant que possible la gratification à la masse de la communauté.

Une après-midi qu’il avait fait les honneurs de l’endroit à un assez grand nombre de ses enfants qui venaient de sortir ce jour-là, il rencontra un prisonnier appartenant à la classe la plus pauvre des détenus, lequel, ayant été incarcéré une semaine auparavant pour une somme fort minime, avait réglé dans le cours de la matinée et se trouvait également sur le point d’être congédié. Cet homme était un simple maçon, dans son costume de manœuvre ; il avait avec lui sa femme et un paquet, et se montrait on ne peut plus joyeux.

« Dieu vous bénisse, monsieur ! dit-il en passant.

— Et vous pareillement, » répondit le Père de la Maréchaussée d’un ton protecteur et bienveillant.

Ils étaient déjà à quelque distance l’un de l’autre, allant chacun