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visée en misérables maisons qui se tenaient dos à dos, de sorte qu’elles n’avaient pas de chambres de derrière, environnée d’une étroite cour pavée, entourée de murs élevés, couronnés de pointes de fer, comme il convient à une prison.

Cette prison, étroite et malsaine, renfermait elle-même dans son sein une autre prison encore plus étroite et plus malsaine, à l’usage des contrebandiers. Les criminels qui, ayant offensé les lois du fisc, ou les règlements de la régie ou de la douane, avaient encouru des amendes qu’ils ne pouvaient payer, étaient censés incarcérés derrière une porte doublée de fer, qui se refermait sur une seconde geôle, laquelle se composait de deux ou trois cellules très-solides et d’une allée borgne d’environ un mètre et demi de large, qui formait la mystérieuse limite de la cour fort restreinte où les prisonniers pour dettes amusaient leur chagrin en jouant aux quilles.

Je dis qu’ils étaient censés incarcérés derrière cette porte, parce qu’en réalité les cellules solides et les allées borgnes commençaient à passer de mode. On avait fini, dans la pratique, par considérer ces moyens de répression comme tant soit peu exagérés, bien qu’en théorie ils pussent se croire toujours aussi florissants. C’est ce qui arrive encore aujourd’hui pour d’autres cellules[1] qui ne sont pas du tout solides, et pour d’autres allées non-seulement borgnes, mais aveugles. Par conséquent, les contrebandiers fréquentaient les prisonniers pour dettes (qui les accueillaient à bras ouverts), excepté à diverses époques constitutionnelles où certain fonctionnaire arrivait de certain bureau, afin de remplir la formalité d’inspecter certaines choses, dont ni lui ni personne ne savait le premier mot. Durant ces inspections vraiment britanniques, les contrebandiers, s’il y en avait, feignaient de rentrer dans les cellules solides ou dans l’allée borgne, tandis que le fonctionnaire faisait semblant de remplir une formalité qu’il ne remplissait pas du tout, et s’en allait pour de bon, quand il avait fini de ne pas la remplir ; résumé très-clair et très-succinct de l’administration publique, telle qu’elle se pratique généralement dans notre bonne et brave petite Île.

On avait amené à cette prison, bien avant le jour où le soleil dardait sur Marseille des rayons incandescents, bien avant l’époque où s’ouvre cette histoire, un débiteur qui doit jouer un rôle dans notre récit.

Ce débiteur, à l’époque dont il s’agit, était un gentleman entre deux âges, très-aimable et très-innocent. Il comptait bien être promptement élargi. Il était persuadé qu’il allait l’être dans le plus bref délai, comme de raison, car jamais les portes de la prison pour dettes ne se sont refermées sur un débiteur qui n’eût la même conviction. Il avait apporté son portemanteau, mais il se demandait si c’était bien la peine de le défaire, tant il était persuadé, comme

  1. Les habitations des pauvres.