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d’avancer la somme qui lui était remboursée, et qu’on aurait refusé ladite avance si elle avait été offerte directement. Après quoi MM. Peddle et Pool demandèrent un reçu sur papier timbré en bonne et due forme, et se dirent les très-humbles serviteurs de M. Clennam. M. Dorrit lui-même eut aussi beaucoup d’affaires à régler, entre les murs mêmes de cette prison qui allait devenir orpheline, par suite d’un grand nombre de pétitions que lui adressèrent ses enfants pour solliciter diverses petites sommes. Il répondait à ces demandes avec une libéralité extrême, mais avec beaucoup de cérémonie ; commençant par adresser au pétitionnaire une lettre d’audience pour lui indiquer l’heure à laquelle il pouvait se présenter, le recevant au milieu d’une masse de documents, et accompagnant son cadeau (car il ne manquait jamais de dire : « C’est un cadeau et non un prêt ») d’une foule de bons conseils. Il terminait presque toujours en disant qu’il espérait que les détenus n’oublieraient pas leur ex-Doyen, qui leur avait prouvé qu’on pouvait se respecter et se faire respecter, même dans une prison.

Les détenus ne montrèrent pas du tout de basse envie. Outre qu’ils avaient un respect personnel et traditionnel pour leur Doyen, l’événement en lui-même faisait honneur à la communauté en attirant sur eux l’attention des journaux. Peut-être beaucoup de ces pauvres diables (la plupart sans s’en douter) se consolaient-ils par la conviction intime que ce bonheur aurait tout aussi bien pu arriver à chacun d’eux, et que rien ne prouvait qu’il ne leur arriverait pas un jour ou l’autre. Enfin, ils prirent très-bien la chose. Quelques-uns s’attristèrent en songeant qu’ils allaient rester là et y rester avec leur misère ; mais les plus attristés même ne se montrèrent pas jaloux du bonheur de la famille Dorrit. Ce bonheur eût peut-être excité plus d’envie dans une sphère plus fashionable. Il est même assez probable que des gens de fortune médiocre eussent fait preuve de moins de magnanimité que ces détenus vivant au jour le jour et n’ayant d’autre banquier que le prêteur sur gages du coin.

Une assemblée générale des détenus vota au Doyen une adresse de félicitations qu’on lui présenta sous verre, ornée d’un beau cadre ; malgré cela, ce document ne figura pas dans la galerie Dorrit ni dans les archives de la famille. M. Dorrit, néanmoins, rédigea une réponse des plus aimables, où il déclarait, avec une solennité toute royale, qu’il était bien convaincu de la sincérité de leur attachement, les exhortant, en termes généraux, à suivre son exemple… Recommandation dont ils ne demandaient pas mieux que de profiter, surtout en ce qui concernait l’héritage d’une grande fortune. Le Doyen saisit cette occasion pour inviter la communauté à un festin d’adieu qui devait être servi dans la cour, en leur signifiant qu’il voulait avoir l’honneur de boire le coup de l’étrier à la santé et à la prospérité de tous ceux qu’il laissait derrière lui.

Il ne prit point part en personne à ce repas public, parce que le banquet avait lieu à deux heures de l’après-midi, tandis qu’il se faisait apporter maintenant son dîner de l’hôtel à six heures. Mais