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homme à s’en laisser imposer. Celui-ci ayant humblement prié M. Dorrit de remarquer qu’il allait aussi vite que possible, Mlle Fanny l’avait relevé d’importance, demandant s’il pouvait faire moins, lorsqu’on lui avait répété vingt fois qu’on ne regardait pas à la dépense, et déclarant qu’elle le soupçonnait fort d’oublier à qui il parlait.

M. Dorrit ne se montra pas moins sévère envers le directeur de la prison, qui était là depuis bien des années déjà, sans que le vieux détenu eût jamais eu avec lui le moindre différend. Ce fonctionnaire, en présentant à M. Dorrit ses félicitations personnelles, lui avait offert, par la même occasion, la libre disposition de deux chambres de son logis particulier jusqu’au jour où il quitterait la prison. M. Dorrit l’avait remercié en disant qu’il y réfléchirait ; mais le directeur n’avait pas eu plus tôt le dos tourné, qu’il s’était assis et lui avait adressé un billet sarcastique, où il remarquait que c’était la première fois qu’il avait eu l’honneur de recevoir les félicitations du directeur (rien de plus vrai, au fond ; mais il est vrai aussi que jusqu’alors personne n’avait eu aucun motif pour le féliciter), et qu’en son propre nom et au nom de sa famille, il croyait devoir répudier l’offre du directeur, tout en le priant d’agréer les remerciements que méritait une politesse aussi désintéressée, aussi pure de toute arrière-pensée mondaine.

Frédéric semblait s’intéresser si peu à ce changement de fortune qu’on aurait pu croire qu’il ne le comprenait pas. Cela n’empêcha pas M. Dorrit de faire mesurer son frère par les lingers, tailleurs, chapeliers, bottiers et autres fournisseurs qu’il avait convoqués pour son propre compte, et de commander qu’on livrât aux flammes l’ancienne défroque du musicien, dût-on la lui enlever de force. Quant à Mlle Fanny et à M. Tip, il n’était besoin d’aucune violence pour les engager à devenir des personnages fashionables et élégants. Tous les trois habitaient provisoirement le meilleur hôtel du voisinage… et le meilleur, disait Mlle Fanny, ne valait pas grand’chose. En outre, M. Tip loua un cheval, un groom et un cabriolet, équipage d’assez bon goût, qui stationnait pendant deux ou trois heures consécutives dans la grande rue, aux abords de la prison. On y voyait presque aussi fréquemment une petite remise à deux chevaux, dont Fanny ne descendait jamais, et où elle ne remontait jamais sans agacer les filles du directeur de la prison par le spectacle de ses chapeaux d’un prix inabordable pour elles.

On expédia une masse d’affaires durant cette courte période. Entre autres choses, MM. Peddle et Pool, avoués, de Monument Yard, furent chargés par leur client Édouard Dorrit, Esquire, d’adresser à M. Arthur Clennam une lettre renfermant un mandat de vingt-quatre livres sterling, neuf shillings et huit pences, formant le capital et l’intérêt (à 5 pour 100) de la somme que leur client croyait devoir à M. Clennam. En faisant cette communication et cette remise, MM. Peddle et Pool furent aussi chargés par leur client de rappeler à M. Clennam qu’on n’avait pas prié M. Clennam