Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/418

Cette page a été validée par deux contributeurs.


411
LA PETITE DORRIT


— Moi ? mais j’en suis enchanté.

— Alors je sais que je ne dois pas en être fâchée.

— Pourquoi le seriez-vous ?

— Il me semble bien dur qu’après avoir perdu tant d’années, qu’après avoir tant souffert, il soit obligé à la fin de payer aussi ses dettes. Il me semble dur de payer d’abord de sa personne, puis de payer encore de sa bourse.

— Ma chère enfant…

— Oui, je sais que j’ai tort, interrompit timidement la petite Dorrit ; ne me jugez pas trop sévèrement pour cela ; c’est une idée qui a grandi avec moi dans la prison. »

La prison, qui gâte tant de choses, n’avait pas réussi à démoraliser plus que cela l’esprit de la petite Dorrit. Cette erreur, engendrée par la compassion que lui inspirait le pauvre détenu, son père, était la première tache que l’atmosphère de la prison eût faite à l’âme pure et innocente de la petite Dorrit : ce fut la première tache que Clennam découvrit en elle, et ce fut aussi la dernière.

Il le pensa, mais il s’abstint de dire une parole de plus à ce sujet. À ses yeux, cette petite tache faisait seulement ressortir la pureté et la bonté de la jeune fille, et les rendait plus éclatantes encore.

Épuisée par ses propres émotions, cédant aussi au pouvoir assoupissant du silence qui régnait dans la chambre, elle cessa peu à peu d’éventer le vieillard et laissa retomber sa tête sur l’oreiller, à côté de celle de son père. Clennam se leva doucement, ouvrit la porte et la referma sans bruit, et quitta la prison, emportant la calme influence de cette scène au milieu des rues turbulentes.




CHAPITRE XXXVI.

La prison de la Maréchaussée devient orpheline.


Voici enfin le jour où M. Dorrit et sa famille doivent quitter la prison et dire un éternel adieu à ces cours dont leurs pieds ont usé les pavés.

Quoique l’intervalle eût été fort court, il avait semblé bien long à l’ex-Doyen, qui s’était plaint vivement à M. Rugg de ce délai. Il s’était montré fort hautain envers M. Rugg et avait même menacé d’employer un autre homme d’affaires. Il avait prié M. Rugg d’oublier l’endroit où il le trouvait et de ne pas se permettre de le traiter en prisonnier, mais de faire son devoir, monsieur, et de le faire avec promptitude. Il avait dit à M. Rugg qu’il connaissait de longue date les avocats et les agents d’affaires, et qu’il n’était pas