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et n’eût consenti à se reposer, la petite Dorrit n’eut pas besoin de répéter cette prière. Elle arrangea le lit du vieillard et l’engagea à prendre un peu de repos. Pendant une demi-heure au moins il ne voulut rien faire que poursuivre sa promenade, se livrant à un calcul de probabilités pour savoir si le directeur de la prison permettrait ou non aux détenus de se mettre aux croisées de sa résidence officielle (elles donnaient sur la rue), afin de voir partir en équipage leur Doyen et sa famille. « Ce serait là, dit-il, un spectacle qu’ils n’oublieraient pas de longtemps. » Mais peu à peu il commença à se lasser, et il s’étendit enfin sur son lit.

La fidèle petite Dorrit s’assit au chevet de son père, l’éventant avec un journal et lui rafraîchissant le front. Il paraissait déjà assoupi (toujours son argent à la main), lorsqu’il se redressa tout à coup :

« Monsieur Clennam, je vous demande pardon, ne m’avez-vous pas donné à entendre, mon cher monsieur, que je pourrais… hem !… traverser à l’instant même le greffe pour… hem !… aller me promener ?

— Je ne crois pas, monsieur Dorrit, répondit Clennam à contrecœur. Il reste certaines formalités à remplir ; et, quoique votre séjour ici ne soit plus qu’une simple formalité, je crains qu’il ne faille s’y soumettre quelques temps encore. »

En entendant cette réponse, le vieillard se remit à pleurer. « Mais ce n’est plus qu’une affaire de quelques heures, remarqua Clennam d’un ton de gaieté consolante.

— Quelques heures, monsieur ! répliqua le vieillard avec une soudaine colère. Vous en parlez bien à votre aise, monsieur ! Savez-vous combien dure une heure pour un homme qui étouffe faute d’air ? »

Ce fut sa dernière démonstration pour le moment ; car après avoir versé encore quelques larmes et s’être plaint de ne pouvoir respirer dans la prison, il s’endormit peu à peu. Clennam trouva amplement de quoi occuper sa pensée dans cette paisible chambre où il observait le vieillard endormi et la jeune fille veillant à son chevet.

La petite Dorrit avait aussi réfléchi de son côté. Après avoir écarté les cheveux gris de son père et posé ses lèvres sur son front, elle se tourna vers Arthur. Celui-ci s’étant rapproché, elle poursuivit à voix basse le sujet de ses réflexions.

« Monsieur Clennam, est-ce qu’il payera toutes ses dettes avant de sortir d’ici ?

— Oui, assurément, toutes.

— Même celles pour lesquelles il est resté emprisonné toute sa vie et plus encore ?

— Assurément. »

Il y avait dans le regard de la petite Dorrit quelque chose qui annonçait un peu de doute et de défiance ; on voyait qu’elle n’était qu’à demi-satisfaite. Arthur, étonné, lui demanda :

« Vous n’êtes pas fâchée qu’il paye ses dettes ?

— Et vous ?