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« Je le verrai comme je ne l’avais pas encore vu. Je le verrai sans ce nuage qui s’élève devant lui. Je le verrai tel que ma pauvre mère l’a vu il y a longtemps. Ô mon cher, cher père… Dieu soit loué ! Dieu soit loué ! »

Il s’abandonna aux baisers et aux caresses de sa fille, mais il ne les lui rendit pas, se contentant de passer un bras autour de sa taille. Il ne prononça pas un mot. Son regard fixe allait de l’un à l’autre, et il commença à trembler comme s’il grelottait. Arthur dit à la petite Dorrit qu’il allait au café chercher une bouteille de vin, et s’y rendit en toute hâte. Tandis que le garçon descendait à la cave, un rassemblement de détenus très-animés lui demanda ce qu’il y avait ; il leur annonça en peu de mots que M. Dorrit avait hérité d’une grande fortune.

Ayant rapporté le vin lui-même, il vit que la petite Dorrit avait fait asseoir le Doyen dans son fauteuil et lui avait ôté sa cravate et dégagé le col. Ils remplirent un grand verre de vin et l’approchèrent des lèvres du vieillard. Lorsqu’il eut bu une ou deux gorgées, il prit le verre dans sa main et le vida. Puis il se rejeta au fond de son fauteuil et se mit à pleurer, le visage caché dans son mouchoir.

Au bout de quelque temps, Clennam pensa qu’il ferait bien de distraire le Doyen du premier saisissement de cette surprise en lui racontant les détails de l’affaire. Il les lui expliqua donc le mieux qu’il put, sans se presser et d’un ton calme, s’appuyant sur la nature des services rendus par Pancks.

« Il sera ah !… il sera noblement récompensé, monsieur, s’écria le Père des détenus, se levant brusquement et se promenant d’un pas agité. Soyez convaincu, monsieur Clennam, que tous ceux qui se sont occupés de cette affaire seront noblement récompensés. Je ne veux laisser à personne, monsieur, le droit de dire que j’aie méconnu ce que je lui dois. J’aurai un plaisir tout particulier à rembourser les… hem !… les avances que vous avez bien voulu me faire, monsieur. Je désire savoir, à votre convenance, ce que vous doit mon fils. »

Il n’avait aucun motif pour se promener dans la chambre, et cependant il ne pouvait tenir en place.

« Personne, continua-t-il, ne sera oublié. Je ne laisserai pas ici un sou de dettes. Tous ceux qui ont… hem !… qui se sont bien conduits envers moi et envers ma famille seront récompensés. Chivery sera récompensé. Le jeune John sera récompensé. J’ai le désir et l’intention, monsieur Clennam, d’agir avec la plus grande munificence.

— Voulez-vous bien me permettre, monsieur Dorrit, dit Arthur, de pourvoir aux éventualités les plus pressées ? J’ai cru devoir apporter une certaine somme à cet effet.

— Merci, monsieur, merci. J’accepte bien volontiers en ce moment un service que ma conscience m’aurait empêché de vous demander il y a une heure. Je vous suis obligé de ce prêt provisoire, mais opportun, bien opportun (sa main se referma sur