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jamais pu comprendre, et qui, maintenant, restera toujours un mystère pour moi !… »

Ainsi parla la veuve de M. Finching, en faisant ses adieux à sa protégée. La petite Dorrit la remercia et l’embrassa à plusieurs reprises, puis elle sortit de la maison avec Clennam pour monter en voiture et se rendre à la prison de la Maréchaussée.

Ce fut un voyage presque fantastique pour la jeune couturière que ce voyage à travers ces rues misérables, au-dessus desquelles elle se sentait enlevée comme dans une atmosphère de richesse et de grandeur. Lorsque Arthur lui eut dit que bientôt elle voyagerait dans sa propre voiture à travers des scènes bien différentes, oubliant toutes ces épreuves domestiques, la petite Dorrit parut tout effrayée. Mais lorsque Clennam, au lieu de lui parler d’elle-même, lui parla de son père, et lui dit que le Doyen aurait des équipages et que ce serait un grand personnage, des larmes d’une joie et d’un orgueil innocent inondèrent le visage d’Amy. Arthur voyant que tout le bonheur qu’elle pouvait rêver, c’était pour en enrichir son père, ne lui parla plus que du vieillard ; et c’est ainsi qu’ils s’en furent à travers les misérables rues qui avoisinaient la prison, porter la grande nouvelle au Père des détenus.

Lorsque M. Chivery, qui était de garde, les laissa entrer dans la loge, il lut dans l’expression de leurs traits quelque chose qui lui causa une vive surprise. Il resta à les regarder, tandis qu’ils se hâtaient de pénétrer dans la cour, comme s’il se fût aperçu que les deux visiteurs avaient chacun un revenant à leurs trousses. Deux ou trois détenus se retournèrent pour les regarder passer, et ne tardèrent pas à rejoindre M. Chivery pour former sur les marches du greffe un petit groupe qui s’entretint à vois basse, en faisant bientôt circuler le bruit que le Doyen allait enfin reconquérir sa liberté. En moins de cinq minutes cette nouvelle avait pénétré dans la chambre la plus reculée de la prison.

La petite Dorrit ouvrit la porte sans frapper et entra avec Arthur. M. Dorrit, vêtu de sa vieille robe de chambre grise et de sa vieille calotte de velours noir, lisait à la croisée son journal. Il avait son binocle à la main et venait de tourner la tête du côté de la porte, surpris sans doute d’entendre dans l’escalier le pas de sa fille qui ne devait rentrer que dans la soirée ; surpris aussi de la voir revenir en compagnie d’Arthur Clennam. Comme ils entraient, le vieillard fut frappé de l’air étrange qui avait déjà attiré l’attention de M. Chivery et de quelques-uns des détenus. Sans se lever ni parler, il posa son journal et ses lunettes sur la table, puis regarda sa fille, la bouche entr’ouverte ; on voyait trembler ses lèvres. Lorsque Arthur lui tendit la main, il la toucha, mais d’un air moins cérémonieux que d’habitude ; puis il se tourna vers Amy, qui venait de s’asseoir à côté de lui les deux mains sur son épaule et il la regarda avec attention.

« Père ! on m’a rendue si heureuse ce matin !

— On t’a rendue heureuse, ma chère ?