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n’en sait rien encore ; il nous faudra partir tantôt d’ici pour le lui apprendre. Votre père sera libre dans quelques jours… dans quelques heures. Rappelez-vous qu’il faut que nous partions d’ici pour le lui apprendre. »

Ces dernières paroles rappelèrent la petite Dorrit à elle. Ses yeux se fermèrent, mais se rouvrirent aussitôt.

« Ce n’est pas tout… ce n’est pas tout, ma chère petite Dorrit… Faut-il vous dire le reste ? »

Les lèvres de la jeune fille formèrent un oui qu’on entendit à peine.

« Votre père ne sera pas pauvre en devenant libre. Il ne manquera de rien… Faut-il vous en dire davantage ? Rappelez-vous qu’il ne sait rien encore… qu’il nous faudra partir d’ici pour le lui apprendre… »

Elle sembla demander un peu de temps. Il continua à la retenir dans ses bras, et après un moment de silence, il se pencha pour écouter ce qu’elle murmurait.

« M’avez-vous prié de continuer ?

— Oui.

— Votre père sera riche. Il est riche déjà. Il va hériter d’une grosse somme. Vous êtes tous très-riches… Je rends grâces au ciel qui récompense ainsi la plus courageuse, la meilleure des filles. »

Tandis qu’il l’embrassait, elle appuya la tête sur l’épaule et leva le bras vers le col d’Arthur en murmurant « Père ! père ! père !… » puis elle perdit connaissance.

Sur ce, Flora revint lui prodiguer des soins, et voltigeant autour du canapé, entremêlant les bons offices et les phrases incohérentes dans une confusion si vertigineuse qu’il était impossible de deviner si elle pressait la prison de la Maréchaussée d’avaler une cuillerée de dividendes arriérés, qui devaient lui faire beaucoup de bien ; ou si elle félicitait le père de la petite Dorrit d’avoir hérité de cent mille flacons, ou si elle expliquait à la petite Dorrit qu’elle venait de verser soixante-quinze mille gouttes d’eau de lavande sur cinquante mille livres de sucre, et qu’elle suppliait la jeune malade de prendre ce doux stimulant ; ou si elle baignait les tempes de Doyce et Clennam avec du vinaigre, et donnait un peu plus d’air à feu M. Finching.

Un autre courant de confusion vint bientôt offrir son tribut à la rivière principale, à travers la porte entr’ouverte d’une chambre à coucher voisine, où la tante de M. Finching, à en juger d’après l’intonation de sa voix, attendait encore son déjeuner dans une position horizontale, du fond de sa retraite, cette dame inexorable adressait à ses voisins divers sarcasmes laconiques, dès qu’un intervalle de silence lui permettait de se faire entendre, tels que : « Je parie qu’il n’y est pour rien !… Il a beau se faire honneur de cette découverte, elle n’est pas de lui !… Demandez-lui un peu s’il leur aurait jamais donné un sou de son propre argent !… » et