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débordant de philanthropie !… d’une bienveillance inouïe ! Je me suis engagé à lui payer un intérêt de vingt pour cent, monsieur. Nous ne faisons pas d’affaires à moins dans notre boutique. »

Arthur se sentit un peu confus d’avoir, dans son enthousiasme, prononcé un éloge prématuré du patriarche.

« J’ai dit à ce digne… archi-chrétien, reprit M. Pancks, qui parut enchanté de cette épithète descriptive, que j’avais un petit projet en main, un projet qui promettait beaucoup, mais qui exigeait une certaine mise de fonds. Je lui ai proposé de me prêter une somme sur billet : c’est ce qu’il a fait, à vingt pour cent, ayant soin, en bon homme d’affaires, d’ajouter les vingt pour cent au billet, afin qu’ils eussent l’air de faire partie du capital. Si l’entreprise avait manqué, je serais resté son factotum pendant sept ans de plus, et il m’aurait diminué mes gages de moitié, tout en m’obligeant à faire le double de besogne… Mais M. Casby est un véritable patriarche, et ce serait un bonheur de le servir à ces conditions-là… ce serait même un bonheur de le servir pour rien. »

Il eût été impossible à Clennam d’affirmer avec certitude que Pancks ne plaisantait pas en parlant ainsi.

« Lorsque l’argent du patriarche fut épuisé, reprit M. Pancks, et il finit par s’épuiser, bien que je l’aie ménagé comme si c’eût été mon sang, j’avais mis M. Rugg dans la confidence. Je proposai alors d’emprunter de l’argent à M. Rugg, (ou à Mlle Rugg, cela revient au même, elle a gagné quelque chose dans une spéculation devant la cour des plaids communs). Il me l’a prêté à dix pour cent ; et il a encore trouvé que c’était un taux bien élevé. Mais, voyez-vous, M. Rugg a des cheveux rouges, monsieur, et il se les fait couper ras. Et puis la forme de son chapeau n’est pas moins élevée que celle de tout le monde. Et les bords n’en sont pas plus larges que ceux de tout le monde, aussi ce n’est pas un patriarche. Et il ne respire pas plus de bienveillance que la première borne venue.

— Mais, vous, dit Clennam, votre récompense pour toute la peine que vous avez eue, doit être assez belle.

— J’ai bon espoir que je n’aurai pas perdu mes peines, monsieur. Je n’ai pas fait de marché d’avance. C’est un prêté pour un rendu, monsieur Clennam. Vous vous rappelez ? Nous voilà quittes. Les déboursés payés, le temps employé pris en considération, et la note de M. Rugg soldée, mille livres sterling seraient une fortune pour moi. Je laisse cela entre vos mains. Je vous autorise, maintenant, à annoncer cette nouvelle à la famille comme vous le jugerez à propos. Mlle Amy Dorrit doit se trouver chez Mme Finching ce matin. Plus tôt ils le sauront, mieux cela vaudra. On ne saurait le leur apprendre trop tôt. »

Cette conversation avait eu lieu dans la chambre à coucher de Clennam qui n’était pas encore levé. Car M. Pancks avait réveillé toute la maison et y avait pénétré de grand matin ; sans jamais s’asseoir, sans jamais se tenir en place deux secondes de suite, il