Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/400

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tourmenté par ces réflexions, il en vint bientôt à désirer que le mariage fût déjà célébré, que Gowan et sa jeune épouse fussent partis, afin que, resté seul avec les parents, il pût tenir plus facilement sa promesse et remplir le rôle généreux qu’il avait accepté. La semaine qui précéda le mariage fut un temps de tracas et d’ennuis pour toute la maison. En présence de Chérie et de Gowan, M. Meagles était toujours radieux ; mais plus d’une fois, lorsque Clennam le trouva seul, il s’aperçut que son ami ne voyait plus les balances et la pelle à or qu’à travers un brouillard humide ; plus d’une fois aussi, tandis que le père regardait les amoureux se promenant dans le jardin ou ailleurs sans qu’ils pussent le voir, Arthur avait reconnu ce nuage de tristesse que la présence de Gowan y avait fait passer dès le premier jour. En disposant la maison pour cette grande occasion, il fallut remuer bien des souvenirs de leurs voyages ; on se les passait alors de main en main ; parfois, à la vue de ces témoins muets de jours sans nuages, Chérie elle-même ne pouvait s’empêcher de pleurer et de se lamenter. Mme Meagles, la plus joyeuse et la plus affairée des mamans, allait chantant sans cesse et encourageant tout le monde ; mais cette bonne âme avait aussi ses moments de défaillance où elle allait se cacher dans quelque office, pour en ressortir les yeux tout rouges, attribuant ces ophthalmies passagères à la présence d’une certaine provision d’oignons confits au vinaigre, et chantant plus haut que jamais. Mme Tickitt, n’ayant pas découvert dans le Traité de médecine domestique du docteur Buchan, le moindre baume pour une âme affligée, s’abandonnait à une profonde tristesse évoquée par des souvenirs touchants de l’enfance de Mina. Lorsque ces souvenirs l’accablaient par trop, elle avait coutume d’envoyer en haut des messages mystérieux pour dire que, n’étant pas en toilette de salon, elle priait en grâce son enfant de lui accorder une seule minute d’entretien dans la cuisine souterraine ; là, elle bénissait le visage de son enfant et le cœur de son enfant en la serrant dans ses bras au milieu d’un fouillis de larmes, de félicitations, de hachoirs, de rouleaux et de pâte, avec la tendresse d’une vieille bonne bien aimante, et c’est, ma foi ! une tendresse dont il ne faut pas dire de mal.

Mais quand un jour doit venir, il finit toujours par arriver ; comme le jour de ce mariage devait arriver, il vint à son tour, et avec lui tous les Mollusques invités au repas de noce.

Il y avait M. Tenace Mollusque, du ministère des Circonlocutions et de la rue des Écuries (Grosvenor-Square), avec la coûteuse Mme Tenace Mollusque, née Des Échasses (grâce à laquelle les jours d’émargement semblaient toujours en retard), et les trois non moins coûteuses Mlles Tenace Mollusque, chargées jusqu’à la gorge de talents d’agréments, prêtes à partir à la première offre matrimoniale, et qui néanmoins ne partaient pas avec toute la rapidité d’explosion qu’on devait naturellement attendre d’armes si bien préparées ; car, au contraire, elles avaient tout l’air de faire long feu comme de vieux pistolets rouillés. Il y avait Mollusque jeune, également