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— Comment est-ce que je les traîne avec moi, madame Merdle ?

— Comment ? Regardez-vous dans la glace. »

M. Merdle dirigea involontairement les yeux vers le miroir le plus voisin, et demanda, tandis que son sang épais montait lentement à ses tempes, si un homme est responsable de sa digestion.

« Vous avez un médecin, répondit Mme Merdle.

— Je ne vois pas trop à quoi il me sert. »

Mme Merdle changea de tactique.

« D’ailleurs, dit-elle, c’est une mauvaise plaisanterie que de me parler de votre digestion. Il ne s’agit pas de votre digestion, mais de vos manières. »

— Madame Merdle, répliqua le mari, les manières ne sont pas mon affaire : c’est vous que cela regarde. Vous fournissez les manières ; moi, je fournis l’argent.

— Je ne vous demande pas, poursuivit Mme Merdle reposant à l’aise au milieu des coussins, je ne vous demande pas de captiver les gens. Je n’exige pas que vous vous donniez la peine de fasciner les gens. Je vous prie seulement de faire comme tout le monde et de vous soucier de rien… ou au moins d’en avoir l’air.

— Ai-je jamais dit que je me souciais de quelque chose ?

— Si vous l’avez dit ? Non ! On ne vous écouterait seulement pas si vous le disiez. Mais vous le laissez voir.

— Qu’est-ce que je laisse voir ? Qu’est-ce que l’on voit ? demanda M. Merdle avec une vivacité inaccoutumée.

— Je vous l’ai déjà dit. On voit que vous portez avec vous vos soucis et vos projets d’homme d’affaires, au lieu de laisser tout cela dans le quartier de la Bourse ou dans leur domicile naturel. Ne pourriez vous pas au moins feindre de les y laisser ? Cela suffirait : je ne vous en demande pas davantage. Mais non : vous ne pourriez pas avoir l’air plus préoccupé de vos calculs et de vos combinaisons, si vous étiez un simple menuisier.

— Un menuisier ! répéta M. Merdle, réprimant quelque chose comme un gémissement. Je ne serais déjà pas trop fâché, après tout, d’être un menuisier, madame Merdle.

— Et ce dont je me plains, poursuivit la dame sans daigner relever cette observation plébéienne, c’est que ce n’est pas là le ton de la société et que vous devriez chercher à vous corriger, monsieur Merdle. Si vous ne me croyez pas, demandez à Edmond Sparkler… (la porte du salon venait de s’ouvrir et Mme Merdle contemplait à travers son lorgnon la tête de son fils)…. Edmond ; nous avons besoin de vous. »

M. Sparkler, qui s’était contenté de passer la tête par la porte entre-bâillée, mais sans entrer (on eût dit qu’il parcourait la maison en quête d’une demoiselle pas bégueule du tout) s’avança alors et s’approcha de Mme Merdle qui, dans quelques phrases à la portée de son intelligence, lui expliqua le point en litige.

Le jeune gentleman, après avoir palpé avec inquiétude son faux col comme un hypocondre se tâte le pouls, répondit :