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distrait : on saurait au moins que vous prenez quelque intérêt à ce qui se passe autour de vous.

— On pourrait crier sans être pour cela moins distrait, madame Merdle, dit M. Merdle avec son ton assommant.

— Et on peut être aussi bourru que vous l’êtes en ce moment, sans crier, répondit Mme Merdle. C’est très-vrai. Si vous voulez savoir ce dont je me plains, je vous le dirai en deux mots ; vous ne devriez vraiment pas aller dans la société, si vous ne savez pas vous plier aux exigences de la société. »

M. Merdle, enroulant autour de ses doigts les cheveux qui lui restaient, parut s’enlever par la crinière, tant il mit de précipitation à se lever.

« Mais, au nom de toutes les puissances infernales, s’écria-t-il, dites-moi un peu, madame Merdle, si vous connaissez quelqu’un qui fasse plus que moi pour la société. Voyez-vous cet hôtel, madame ? Voyez-vous ces meubles, madame ? Tournez-vous vers cette glace et regardez-vous, madame ! Savez-vous ce que tout cela coûte ? Savez-vous qui profite de tout cela ? Et puis vous venez encore me dire que je ne devrais pas aller dans la société ! Moi qui répands ainsi sur elle l’or à pleines mains ! Moi qui ai presque l’air de… de m’atteler à une voiture d’arrosage remplie d’or pour aller partout et toujours en saturer la société !

— Ne vous emportez pas, monsieur Merdle, je vous prie.

— M’emporter ? Mais vous me feriez sauter au plafond ! Vous ne savez pas la moitié de ce que je fais pour la société. Vous ne savez pas les sacrifices que je fais pour elle.

— Je sais que vous recevez la meilleure société du pays. Je sais que vous êtes reçu dans la meilleure société de toute l’Angleterre. Je crois que je sais aussi… (et même, pour ne pas faire de feinte ridicule, je sais que je sais) quelle est la personne qui vous aide en cela, monsieur Merdle.

— Madame Merdle, répliqua le millionnaire essuyant son insipide visage rouge et jaune, je sais tout cela aussi bien que vous. Si vous n’étiez pas un des ornements de la société, et, moi-même, si je n’avais pas été un bienfaiteur de la société, vous et moi nous ne serions pas unis. Lorsque je dis bienfaiteur de la société, j’entends par là un homme qui lui donne à boire, à manger ou à admirer une foule de choses coûteuses. Mais me dire que je ne suis pas digne de m’y montrer, après tout ce que j’ai fait pour elle, répéta M. Merdle avec une énergie étrange qui surprit Mme Merdle au point de lui faire lever un peu les sourcils… après tout ce que j’ai fait… tout !… Venir me dire que je n’ai pas le droit de m’y montrer, c’est une jolie récompense, ma foi !

— Je prétends, répondit Mme Merdle avec beaucoup de calme, que vous devriez vous en rendre digne, en vous montrant plus dégagé et moins soucieux. Il y a quelque chose qui sent son plébéien d’une lieue à traîner partout avec vous vos préoccupations d’affaires, comme vous le faites.