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occasions de grande cérémonie, termes qu’une nouvelle variante de la parabole du chameau et du trou de l’aiguille obligeait la société à accepter sans enquête.

Pour un homme qui avait un rôle si brillant à remplir, M. Merdle avait l’air d’un homme comme un autre, ou plutôt on eût dit que, dans le cours de ses vastes transactions commerciales, il avait par hasard troqué sa tête contre celle de quelque esprit inférieur. Il se présenta un moment devant les deux dames, durant une lugubre promenade qu’il faisait à travers son palais, et qui ne paraissait avoir d’autre but que d’échapper à la présence de son maître d’hôtel.

« Pardon, dit-il, s’arrêtant tout confus, je croyais qu’il n’y avait ici que le perroquet. »

Cependant, Mme Merdle ayant dit : « Vous pouvez entrer, » et Mme Gowan, qui venait de se lever, ayant déclaré qu’elle allait prendre congé de sa très-chère amie, M. Merdle entra et se mit à regarder par une croisée éloignée, ses mains croisées sous ses parements, inquiet, se tenant par le poignet, comme s’il eût voulu opérer son arrestation lui-même. Sans changer d’attitude, il tomba dans une rêverie dont il fut tiré par la voix de madame, qui l’appela de l’autre bout du salon, où ils se trouvaient depuis près d’un quart d’heure.

« Hein ! oui ! dit alors M. Merdle en se tournant vers elle. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Ce qu’il y a ? répéta Mme Merdle. Il y a que vous ne paraissez pas avoir entendu un mot de ce que je viens de vous dire. De quoi me suis-je plainte ?

— Vous vous êtes plainte, madame Merdle ? Je ne savais pas que vous fussiez malade.

— C’est de vous, dit Mme Merdle, que je me plaignais.

— Oh ! vous vous plaignez de moi. Quel est mon… qu’ai-je donc… à quel propos avez-vous à vous plaindre de moi, madame Merdle ? »

Grâce à ses façons effrayées, distraites, rêveuses, il lui avait fallu quelque temps pour formuler cette question. Il termina sa phrase en présentant son doigt au perroquet, seulement comme pour essayer de s’assurer s’il était bien le maître de céans, et l’oiseau lui prouva qu’il était d’un avis contraire, en mordant immédiatement ce doigt téméraire.

« Vous disiez, madame Merdle, continua M. Merdle tout en suçant son doigt mordu, que vous aviez à vous plaindre de moi ?

— Oui, et c’est sans doute pour me prouver combien j’ai raison de me plaindre que vous m’obligez à répéter mes paroles. J’aurais tout aussi bien fait de parler à la muraille. J’aurais beaucoup mieux fait de parler à cet oiseau. Il aurait au moins crié, lui.

— Je ne suppose pas que vous teniez à m’entendre crier, madame Merdle ? demanda M. Merdle, prenant un siège.

— En vérité, je ne sais pas trop, riposta Mme Merdle, si vous ne feriez pas mieux de crier que de rester aussi sombre et aussi