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malgré la petitesse de la chambre, n’entendait rien, voyons, un dernier mot. Il y a longtemps que je désire vous en parler ; j’ai cherché des occasions pour vous le dire. N’ayez point peur de moi, qui, sous le rapport des années, pourrais être votre père ou votre oncle. Regardez-moi comme un vieillard. Je sais que tout votre dévouement se concentre dans cette chambre et que jamais rien ne vous tentera d’abandonner les devoirs que vous remplissez ici. Si je n’en avais pas été sûr, je vous aurais déjà priée, et j’aurais prié votre père de me permettre de vous établir dans quelque endroit plus convenable. Mais il se peut que vous vous intéressiez… Je ne dis pas aujourd’hui, quoique cela ne soit pas impossible… mais que vous vous intéressiez un jour à quelqu’un en dehors de cette chambre. Il n’y aurait rien là d’incompatible avec vos affections de famille. »

Elle était bien pâle et secoua silencieusement la tête.

« Mais cela peut arriver, chère petite Dorrit.

— Non, non, non. »

Elle secoua encore la tête à chaque lente répétition de ce mot, avec un air de calme désolation dont il se souvint longtemps après. Le temps devait venir où il s’en souviendrait, entre les murs de cette prison, dans cette même chambre.

« Mais si cela arrive jamais, dites-le moi, ma chère enfant. Confiez-moi la vérité, montrez-moi l’objet de votre nouvelle affection et j’essayerai (avec tout le zèle, tout l’honneur, toute l’amitié et tout le respect que j’ai pour vous, bonne petite Dorrit de mon cœur) de vous rendre un service durable.

— Oh ! merci, merci ! Mais non, non, non ! »

Elle prononça ces paroles en le regardant, ses mains usées par le travail croisées devant elle et avec le même ton de résignation qu’auparavant.

« Je ne vous presse pas de me faire aucune confidence en ce moment. Tout ce que je vous demande, c’est la promesse de vous fier à moi sans hésitation.

— Puis-je faire moins, lorsque vous êtes si bon !

— Alors vous vous fierez entièrement à moi ? Vous ne me cacherez aucun malheur secret, aucune inquiétude secrète ?

— J’en sais bien peu que je voudrais vous cacher.

— Et vous ne m’en cachez pas aujourd’hui ? » Elle secoua la tête ; mais elle était bien pâle.

« Lorsque je me coucherai ce soir, et que ma pensée me ramènera à ce triste endroit (et elle m’y ramènera, car j’y reviens toujours, même lorsque je ne vous ai pas vue), je puis donc croire que ma petite Dorrit n’est en proie à aucun chagrin, en dehors de cette chambre et de ceux qui l’occupent d’habitude ? »

La jeune fille sembla saisir avec vivacité le double sens de ces paroles, pour lui répondre avec moins d’embarras ; Clennam se rappela aussi ce fait, longtemps après :

« Oui, monsieur Clennam ; oui, vous le pouvez. »