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Elle tremblait moins maintenant, et elle put répondre d’un ton qui ressemblait davantage à son ton habituel.

« Vous êtes si bon !… Mais quand même il n’y aurait, dans ce qui s’est passé, aucun autre motif de regret ou de honte, une pareille ingratitude…

— Chut ! dit Clennam qui ferma en souriant la bouche de la petite Dorrit. Ce serait vraiment étrange de vous voir oublier quelque chose, vous qui n’oubliez jamais personne et qui n’oubliez jamais rien. Dois-je vous rappeler que je ne suis et que je n’ai jamais été autre chose que l’ami dans lequel vous avez promis d’avoir confiance ? Vous vous souvenez de cette promesse-là, n’est-ce pas ?

— Je tâche de me la rappeler, sans quoi j’y aurais manqué tantôt, lorsque mon frère était-là. Mais vous, vous penserez aussi, n’est-ce pas, à la façon dont ce pauvre garçon a été élevé ici, et vous ne le jugerez pas trop sévèrement, j’en suis sûre ! »

Elle leva les yeux en prononçant ces mots, et regarda le visage de son interlocuteur avec plus d’attention qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors, et s’écria avec un rapide changement d’intonation :

« Vous n’avez pas été malade, monsieur Clennam ?

— Non.

— Ni tourmenté ? Ni affligé ? » ajouta-t-elle avec inquiétude. Ce fut au tour d’Arthur de ne savoir que répondre.

« À vrai dire, répliqua-t-il, j’ai eu quelques chagrins. Mais c’est fini. Cela se lit-il donc si clairement dans mes traits ? Je devrais avoir plus de courage que cela et plus d’empire sur moi-même. Je croyais en avoir davantage. Il me faudra prendre des leçons de vous, ma petite Dorrit. Qui pourrait mieux que vous m’enseigner la patience ? »

Il ne songea pas qu’elle voyait les traces d’une souffrance que personne n’aurait su lire dans ses traits. Il ne songea pas qu’il n’y avait pas dans le monde entier d’autres yeux capables de le regarder avec la même pénétration.

« Mais cela m’amène à ce que je voulais vous dire, continua-t-il ; je ne saurais donc me fâcher même contre mon propre visage, s’il s’avise de me trahir. D’ailleurs c’est un privilège et un plaisir que de faire une confidence à ma petite Dorrit. Laissez-moi donc vous avouer, qu’oubliant ma gravité et mon âge, oubliant que le temps d’aimer a perdu pour moi dans ces années de monotonie et de peines dont s’est composée ma longue existence dans un pays lointain… qu’oubliant tout cela, je me suis figuré que j’aimais quelqu’un.

— Quelqu’un que je connais ? demanda la petite Dorrit.

— Non, mon enfant.

— Ce n’est donc pas la dame qui a été si bonne pour moi à cause de vous ?

— Flora ? Non, non. Avez-vous pu penser…

— Je n’ai jamais pu le croire tout à fait, dit la petite Dorrit qui