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par leur père. De temps en temps aussi, quelque refrain plus sonore annonçait qu’un baryton vantard voguait dans sa nacelle, ou chassait dans la plaine, ou se promenait sur la montagne ou dans la bruyère ; mais le directeur de la prison savait très-bien à quoi s’en tenir et ne s’inquiétait pas le moins du monde de ces évasions musicales.

Lorsque Clennam s’avança pour prendre un siège auprès de la petite Dorrit, elle trembla tellement qu’elle eut de la peine à tenir son aiguille. Arthur posa doucement la main sur l’ouvrage de la jeune fille, en lui disant :

« Chère petite Dorrit, laissez-moi mettre cela de côté. »

Elle céda l’ouvrage qu’elle tenait à Arthur, qui le posa sur la table. La petite Dorrit se tenait les mains jointes, mais Clennam les sépara et en garda une dans les siennes.

« Je vous vois bien rarement depuis quelque temps, petite Dorrit !

— J’ai été très-occupée, monsieur.

— Oui, mais j’ai appris ce matin, par hasard, que vous aviez fait une visite à ces braves gens qui demeurent tout près de chez moi. Pourquoi n’êtes-vous pas venue me voir par la même occasion ?

— Je… je ne sais pas. Ou plutôt, j’ai craint de vous déranger. Vous avez beaucoup d’occupation maintenant, n’est-il pas vrai ? »

Il vit ce petit corps qui tremblait et ce visage penché, et ces yeux qui se baissaient dès qu’ils rencontraient les siens… il vit tout cela avec presque autant d’inquiétude que de tendresse.

« Mon enfant, vos manières sont bien changées ! »

En ce moment il fut impossible à la petite Dorrit de maîtriser son émotion. Retirant doucement sa main pour la poser sur l’autre, elle se tint ainsi, la tête baissée et tremblant de tous ses membres.

« Ma chère, ma bonne petite Dorrit, » dit Clennam d’un ton compatissant.

Elle fondit en larmes. Maggy tourna tout à coup la tête du côté de la fenêtre et regarda sa petite mère pendant une minute au moins ; mais elle n’intervint pas. Clennam attendit un peu avant de parler de nouveau.

« Cela me fait trop de peine, dit-il alors, de vous voir pleurer ; mais j’espère que ces larmes, qui vous pesaient sur le cœur, sont pour vous un soulagement.

— Oui, monsieur. Pas autre chose… ; pas autre chose.

— Allons, allons, calmez-vous, mon enfant. Je me doutais bien que vous alliez attacher trop d’importance à ce qui vient de se passer ici. Ce n’est rien, rien du tout. Je regrette seulement d’avoir causé cette scène par une visite importune. Que le souvenir s’en efface avec vos larmes. Il n’y a pas de quoi vous en faire verser une seule. Pour moi, je consentirais volontiers à voir cette scène se répéter cinquante fois par jour pour vous épargner un moment d’ennui, ma petite Dorrit. »