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— Bah ! ne me demandez pas comment j’ose, père, car tout ça c’est de la bêtise. Quant à la ligne de conduite que j’ai jugé à propos de suivre envers l’individu ici présent, vous devriez être fier de me voir soutenir la dignité de la famille.

— Je le crois bien ! s’écria Fanny.

— La dignité de la famille ? répéta le père. En sommes-nous donc venus à ce point que mon propre fils croit m’apprendre… à moi !… ce que c’est que la dignité !

— Allons, père, à quoi bon nous ennuyer les uns les autres et nous chamailler à propos de ça ? Je suis convaincu que l’individu ici présent n’a pas agi à mon égard comme on doit agir envers un gentleman : voilà tout.

— Mais il s’en faut de beaucoup que ce soit tout, monsieur, répliqua le père. Détrompez-vous… Ah ! vous êtes convaincu, vous ? Vous êtes convaincu ?

— Oui, je le suis. À quoi sert de vous échauffer la bile ?

— Monsieur, continua le père, qui s’animait de plus en plus, vous n’avez pas le droit d’être convaincu d’une chose monstrueuse, d’une chose… hem !… immorale, d’une chose… ha !… parricidale !… Non, monsieur Clennam, ne m’interrompez pas, je vous prie… Il y a dans tout ceci un… hem !… principe général qui doit l’emporter sur des considérations de… hem !… d’hospitalité. Je repousse l’assertion que vient de formuler mon fils.

— Ma foi, je ne vois pas ce qu’elle peut vous faire, riposta le fils, regardant par-dessus son épaule.

— Ce qu’elle peut me faire, monsieur ? Le sentiment de… hem !… ma propre dignité me défend de l’admettre. Une pareille assertion… (il prit son mouchoir et s’essuya le visage)… est un outrage et une insulte pour moi. Supposons que j’aie moi-même, à une époque quelconque, ou… hem !… à des époques quelconques, adressé une… hem !… requête convenablement rédigée, une requête urgente, une requête délicate à l’effet d’emprunter une légère somme à certains individus. Supposons que ces individus auraient pu m’avancer ladite somme sans se gêner le moins du monde, et qu’ils eussent refusé de me l’avancer, et que ces individus m’eussent répondu qu’ils me priaient de les excuser. Supposons tout cela. Dois-je permettre, à cause de cela, que mon propre fils vienne me dire qu’on a tenu à mon égard une conduite qu’on ne doit pas tenir envers un gentleman et que j’ai souffert qu’on me traitât ainsi ? »

Sa fille Amy cherchait doucement à le calmer, mais il ne voulait rien écouter du tout. Il répéta qu’il savait ce qu’il se devait à lui-même et qu’il ne souffrirait pas une pareille injure.

Il demanda encore s’il devait permettre à son propre fils de tenir un pareil langage, devant lui, à son propre foyer ? Devait-il donc se laisser infliger une telle humiliation par son propre enfant ?

« Si quelqu’un vous l’inflige, père, c’est vous, c’est vous-même