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demandant en manière de titre : « Pourquoi il courait tout droit à la perdition ? » (curiosité impertinente que le lecteur, qui portait encore une robe et des caleçons, n’était vraiment pas à même de satisfaire), et qui, afin de se rendre plus attrayante pour un jeune esprit, contenait à chaque seconde ligne une parenthèse renfermant un renvoi, semblable à un hoquet, à la 2 ép. Thess. c. III, 6 et 7[1]. Puis il revit les dimanches endormants de sa vie d’écolier, où un piquet de maîtres d’études le conduisait à l’église trois fois dans les vingt-quatre heures, comme un déserteur militaire, enchaîné moralement à un écolier du même âge ; ah ! qu’il eût volontiers alors donné deux des sermons indigestes qu’on l’obligeait à avaler, en échange d’une once ou deux de plus de ce mouton de qualité inférieure qui formait sa principale nourriture physique ! Puis il revit les dimanches interminables de sa jeunesse, où sa mère, au visage toujours sévère, au cœur toujours inexorable, se tenait toute la journée derrière une grande Bible, comme si de tous les livres c’était celui-là qu’il fallût choisir pour bannir la bonne humeur, les affections naturelles et les douces relations de la famille. On aurait pu deviner la façon dont la lectrice interprétait l’Écriture, rien qu’à voir la reliure du livre, dure, nue et roide. La couverture en était encadrée d’un seul ornement renfoncé qui imitait les anneaux d’une chaîne, et le relieur avait embelli la tranche d’éclaboussures d’un rouge courroucé. Puis il revit, en sautant un court intervalle, les dimanches haineux où, sombre et maussade, il demeurait immobile sur son siège pendant toute la tardive longueur du jour, gardant au fond du cœur un sentiment vindicatif, et ne comprenant pas plus le sens véritable de la salutaire histoire renfermée dans le Nouveau Testament, que s’il eût été élevé par des sauvages idolâtres. Toute une légion de dimanches, dont chacun était un jour d’amertume inutile et de chagrin, passa lentement en revue devant les yeux de sa mémoire.

« Pardon, m’sieu, dit un garçon actif, en frottant la table. Voulez-vous voir vot’ chamb’ à coucher ?

— Oui. C’est justement ce que j’allais vous demander.

— Madame ! cria le garçon, m’sieu à la malle numéro sept demande à voir sa chambre à coucher.

— Attendez ! dit Clennam, sortant de sa rêverie. Je ne songeais pas à ce que je disais ; je vous ai répondu machinalement. Je ne couche pas ici. Je vais chez moi.

— Très-bien, m’sieu ! Madame, m’sieu à la malle numéro sept couche pas ici. S’en va chez lui. »

M. Clennam resta au même endroit, tandis que le jour baissait, regardant les sombres maisons en face, et songeant que, si les âmes incorporelles des anciens habitants pouvaient revoir leurs domiciles terrestres, elles devaient se trouver bien malheureuses d’avoir jamais été condamnées à loger dans de pareilles prisons. Par -

  1. I. Deuxième Épître aux Thessaloniciens, chap. III, versets 6 et 7.