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tête sous son tablier, et disparut. Peu à peu le visiteur se remit à sourire et se rassit.

« Vous voudrez bien l’excuser, monsieur Blandois, dit M. Flintwinch, versant lui-même le thé ; elle perd la tête et retombe en enfance… Voilà où elle en est… Voulez-vous vous sucrer, monsieur ?

— Merci ; je ne prends pas de thé… Pardonnez mon indiscrétion, mais voilà une montre assez curieuse. »

La table où on avait servi le thé avait été rapprochée du canapé, de façon à laisser un espace vide entre ce meuble et le petit guéridon de Mme Clennam. Le galant M. Blandois s’était levé pour donner du thé à cette dame qui avait déjà son assiette de rôties devant elle, et ce fut en posant la tasse à portée de la malade que la montre qui restait toujours posée sur ce guéridon attira son attention.

Mme Clennam leva tout à coup les yeux sur lui.

« Voulez-vous me permettre ? Merci. Une très-belle montre, déjà ancienne, dit-il en la prenant dans sa main. Un peu lourde à porter, mais c’est solide et franc. J’ai un penchant pour tout ce qui est franc. Tel que je suis, j’ai toujours le mérite d’être franc comme l’or !…. Une montre d’homme à double boîte, à la vieille mode. Puis-je l’ouvrir ? Merci. Tiens ? Un rond de soie brodé de perles ! J’ai vu beaucoup de ces doublures de montre chez de vieux Hollandais et en Belgique. Drôle d’usage !

— C’est surtout un usage ancien.

— Très-ancien. Mais cette doublure-ci n’est pas aussi vieille que la montre ?

— Je ne crois pas.

— C’est étonnant comme nos pères s’amusaient à compliquer et à entrelacer les chiffres de ce genre ! remarqua M. Blandois, levant les yeux pour regarder Mme Clennam avec ce sourire qui lui était propre. Est-ce bien N. O. P. qu’il y a là ? On pourrait y voir tout ce qu’on veut.

— Ce sont bien là les lettres qui se trouvent brodées sur ce rond. »

M. Flintwinch qui, pendant ce dialogue, était resté immobile et attentif, la main levée et la bouche ouverte, tout prêt à boire son thé, commença alors à ingurgiter le contenu de sa tasse : remplissant sa bouche toute pleine avant d’avaler le liquide d’un seul trait, et réfléchissant toujours avant de l’emplir de nouveau.

« N. O. P. était sans doute quelque ravissante créature, reprit Blandois, en remettant la montre dans sa boîte. Sur la foi de ce chiffre, j’adore la mémoire de N. O. P. Malheureusement pour mon repos, je ne suis que trop porté à adorer. Peut-être est-ce un vice, peut-être est-ce une vertu ; dans tous les cas, il est dans mon caractère d’adorer la beauté et le mérite de votre sexe, madame. »

M. Flintwinch venait de se verser une autre tasse de thé qu’il