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« Tiens-toi bien ! Blandois, mon ami, attention à toi ! ne perds pas la boule. »

Il fut reçu à la porte d’entrée par Mme Jérémie, qui, d’après les ordres de son seigneur et maître, avait allumé deux chandelles dans le vestibule et une troisième sur l’escalier, et qui conduisit le visiteur dans la chambre de Mme Clennam. Le thé y était déjà servi, et on y avait fait les préparatifs qui précédaient d’ordinaire la venue d’un étranger attendu. Ces préparatifs se bornaient à fort peu de chose, même dans les grandes occasions, car on se contentait de sortir le service de porcelaine et de recouvrir le lit d’une simple et triste draperie. Quant au reste, le canapé, semblable à une bière avec le billot sous forme de coussin, la dame, en costume de veuve, qui semblait toute prête à marcher à l’échafaud, le feu recouvert d’une croûte de cendres mouillées, le petit tas de cendres sèches dans la grille, la bouilloire avec son odeur de vernis brûlé, tout cela restait tel qu’il était depuis quinze ans.

M. Flintwinch présenta le gentleman recommandé aux soins obligeants de Clennam et Cie. Mme Clennam, qui avait la lettre devant elle, inclina la tête et invita M. Blandois à s’asseoir. L’hôtesse et l’invité s’examinèrent l’un l’autre avec une grande attention : curiosité fort naturelle.

« Je vous remercie, monsieur, d’avoir pensé à une pauvre invalide comme moi. Il arrive bien rarement qu’aucun de ceux qui viennent ici pour affaires ait un souvenir à donner à une personne aussi retirée du monde que je le suis. Il serait ridicule de s’en plaindre : « Loin des yeux, loin du cœur. Les absents ont toujours tort. » Tout en sachant beaucoup de gré à ceux qui font exception en ma faveur, je suis loin de me plaindre de la règle. »

M. Blandois, avec son air le plus distingué, exprima la crainte d’avoir dérangé Mme Clennam en se présentant à une heure aussi indue. Il avait déjà présenté ses excuses empressées à M…

« Pardon, continua-t-il ; mais je n’ai pas l’honneur de connaître le nom de…

— M. Jérémie Flintwinch, attaché à la maison depuis bien des années. »

M. Blandois déclara qu’il était le très-humble et obéissant serviteur de M. Flintwinch. Il pria M. Flintwinch d’agréer l’assurance de sa considération la plus parfaite.

« Mon mari étant mort, dit Mme Clennam, et mon fils ayant préféré une autre carrière, notre vieille maison n’a plus aujourd’hui d’autre représentant que M. Flintwinch.

— Et vous, qu’êtes-vous donc alors ? demanda l’associé d’un ton bourru. Vous avez assez de tête pour remplacer deux hommes.

— Mon sexe, continua la dame qui se contenta, pour toute réponse, de tourner les yeux du côté de Jérémie, ne me permettait pas de prendre une part responsable dans les affaires ; par conséquent, M. Flintwinch combine mes intérêts avec les siens et dirige tout. Notre maison n’a plus la même importance qu’autrefois ; mais