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et les arbres parurent se refermer derrière eux dans l’obscurité, comme pour tirer le rideau sur le passé.

Les voix de M. et Mme Meagles et de Doyce se firent entendre près de la grille du jardin. Le nom de Chérie, prononcé par eux, ayant frappé l’oreille de Clennam, il cria :

« Elle est ici, avec moi. »

On s’étonnait et on riait un peu tandis qu’ils avançaient ; mais dès qu’ils se trouvèrent tous réunis, le silence se rétablit et Minnie rentra dans la maison.

M. Meagles, Doyce et Clennam, sans échanger une parole, firent plusieurs tours sur le bord de la rivière, à la clarté de la lune qui se levait ; puis Doyce resta en arrière et rentra dans la maison. Restés seuls, M. Meagles et Clennam continuèrent à se promener quelques instants en silence ; enfin le premier entama la conversation.

« Arthur, commença-t-il (l’appelant pour la première fois par son nom de baptême), vous rappelez-vous que je vous ai dit, un jour que nous nous promenions par une chaude matinée en regardant le port de Marseille, que la petite sœur de Chérie, bien qu’elle fût morte, nous semblait, à mère et à moi, avoir grandi en même temps que sa sœur et avoir subi les mêmes transformations qu’elle ?

— Je ne l’ai pas oublié.

— Vous rappelez-vous aussi que je vous ai dit que, dans notre pensée, nous n’avions jamais pu séparer ces sœurs jumelles, et que nous nous figurions que tout ce qui arrivait à l’une arrivait à l’autre ?

— Oui, je m’en souviens très-bien.

— Arthur, continua M. Meagles très-abattu, je vais encore plus loin ce soir. Il me semble ce soir, mon cher ami, que vous avez tendrement aimé la fille qui nous manque et que vous l’avez perdue lorsqu’elle avait atteint l’âge de Chérie.

— Merci, merci ! murmura Clennam, et il serra la main de son compagnon.

— Voulez-vous rentrer ? demanda M. Meagles au bout de quelque temps.

— Tout à l’heure. »

M. Meagles s’éloigna, et Arthur resta seul. Lorsqu’il se fut promené pendant une demi-heure environ au bord de la rivière, à la paisible clarté de la lune, il porta la main à sa poitrine et prit tendrement la poignée de roses que Chérie lui avait donnée. Peut-être les pressa-t-il contre son cœur, peut-être les porta-t-il à ses lèvres, mais bien certainement il se pencha sur le bord de l’eau, et les lança doucement dans le courant du fleuve. La rivière emporta au loin ces fleurs qui, à la clarté douteuse de la lune, semblaient pâles et fantastiques.

Les lumières brillaient dans le salon lorsqu’il y entra, et les visages qu’elles éclairaient, sans en excepter le sien, reflétèrent bientôt une tranquille gaieté. On parla d’une foule de choses (jamais son associé n’avait trouvé un si grand fonds de facile causerie