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conserver de ma maison et de ceux qui l’habitent, vous croyez vous-même ce que cette dame vient de dire. Je vous dirai seulement que vous n’aurez aucune promesse à faire ni à moi ni aux miens, aucun pardon à solliciter, et que je ne vous demande rien au monde, Tattycoram, que de compter jusqu’à vingt-cinq. »

Tattycoram le regarda un instant, puis répondit en fronçant les sourcils :

« Je ne veux pas. Mademoiselle Wade, emmenez-moi ! s’il vous plaît. »

Il n’y avait plus chez elle apparence de lutte pour vaincre sa rage intérieure, à moins que ce ne fût entre la colère et l’obstination. Son teint animé, son pouls rapide, sa respiration haletante, semblait se révolter et se soulever afin de repousser à l’envi l’occasion qui se présentait de revenir sur ses pas.

« Je ne veux pas. Non, non, non ! répéta-t-elle d’une voix presque étouffée par la colère. Je me ferai plutôt couper en morceaux : je me couperais plutôt moi-même en morceaux ! »

Mlle Wade, qui venait de lâcher la main de Tattycoram, posa la sienne sur le col de la jeune fille d’un air protecteur, et dit en regardant ses visiteurs avec le même sourire que la première fois et avec la même intonation :

« Messieurs, que vous reste-t-il à faire après cela ?

— Ô Tattycoram, Tattycoram ! s’écria M. Meagles, l’adjurant en même temps par un geste de sa main suppliante. Écoutez la voix de cette dame ; regardez le visage de cette dame, songez à ce qu’il y a dans le cœur de cette dame et pensez à l’avenir qui vous attend. Mon enfant, quoi que vous en pensiez, l’influence que cette dame exerce sur vous (et qui, à nos yeux, est quelque chose de surprenant, j’oserais même dire de terrible) se fonde sur ce qu’elle est encore plus intraitable que vous dans ses haines et que son caractère est encore plus violent que le vôtre. Qu’allez-vous devenir ensemble ? Qu’est-ce qui va résulter de tout cela ?

— Je suis seule ici, messieurs, remarqua Mlle Wade, sans changer de ton ni de manières. Vous pouvez dire impunément ce que vous voudrez.

— La politesse doit céder devant l’intérêt que je porte à cette enfant égarée, madame, répliqua M. Meagles, lorsque je la vois dans une position si critique ; malgré cela, j’espère ne pas y manquer, même en songeant à tout le mal que vous lui faites sous nos yeux. Pardonnez-moi si je vous rappelle devant elle… mais je suis bien forcé de le faire… que vous avez toujours été, pour nous tous un mystère, et que nous n’avions rien de commun avec vous, lorsqu’elle a malheureusement attiré votre attention pour la première fois. Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous ne cachez pas… vous ne pouvez pas cacher le sombre esprit qui vous anime. Si, par hasard, vous étiez une de ces femmes qui, pour un motif ou pour un autre, trouvent un cruel plaisir à rendre une de leurs semblables aussi malheureuse qu’elles-mêmes (je suis assez vieux pour avoir