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« Voyez, dit-elle du même ton qu’auparavant. Voilà votre patron, votre maître. Il consent à vous reprendre, ma chère, pourvu que vous sachiez apprécier cette faveur et que vous consentiez à l’accompagner. Vous pouvez recommencer à servir de relief à tous les mérites de sa jolie fille ; vous pouvez devenir l’esclave de ses charmants caprices, le joujou de la maison, une preuve vivante de la bonté de cette aimable famille. Vous pouvez reprendre votre drôle de nom, qui sert à vous faire montrer du doigt comme un être à part, et ce n’est que trop juste ; car il ne faut pas oublier votre naissance, ma chère, votre naissance ! Vous pouvez reprendre votre place auprès de la fille de monsieur, Henriette, et redevenir un témoignage irrécusable de la supériorité et de la gracieuse condescendance de Mlle Minnie. Vous pouvez recouvrer tous ces avantages et bien d’autres de ce genre que vous ne sauriez avoir oublié, au lieu de les perdre en restant auprès de moi pour recouvrer tout cela ; vous n’avez qu’un mot à dire à ces messieurs, c’est que vous êtes désolée et repentante et que vous demandez à retourner avec eux pour mériter votre pardon. Qu’en dites-vous, Henriette ? Voulez-vous les accompagner ? »

La jeune fille, à ces paroles, avait senti renaître sa colère ; elle répondit, les joues animées d’une soudaine rougeur et en froissant dans sa main fermée la robe que, jusqu’alors, elle n’avait fait que plisser : « J’aimerais mieux mourir ! »

Mlle Wade, toujours debout à côté de Tattycoram dont elle n’avait pas lâché la main, tourna tranquillement la tête et dit avec un sourire : « Messieurs, que vous reste-t-il à faire, après cela ? » La consternation indicible qu’avait ressentie le pauvre M. Meagles en entendant calomnier ainsi ses intentions et sa conduite, l’avait empêché jusqu’à ce moment de répondre un mot ; mais il retrouva enfin l’usage de la parole pour dire :

« Tattycoram… car je continue à vous appeler par ce nom, ma bonne fille, parce que j’ai la conscience de n’avoir jamais eu de mauvaises intentions, lorsque je vous l’ai donné, et la conviction que vous le savez…

— Non, je ne le sais pas ! s’écria Tattycoram, levant de nouveau les yeux et se déchirant presque la poitrine avec sa main agitée.

— Pas maintenant, c’est possible, continua M. Meagles, tant que les yeux de cette dame seront fixés sur vous (Tattycoram regarda un instant les yeux en question), tant qu’elle exercera sur vous cette fatale influence que nous lui voyons exercer ; pas maintenant, c’est possible, mais plus tard. Tattycoram, je ne demanderai pas à cette dame si elle croit ce qu’elle a dit, même dans la colère et la rancune inexplicables dont mon ami et moi nous ne pouvons douter qu’elle soit animée pour parler comme elle vient de le faire, malgré l’art inconcevable avec lequel elle sait dissimuler si bien. Je ne vous demanderai pas si, avec les souvenirs que vous avez dû