Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/314

Cette page a été validée par deux contributeurs.

irritaient en aucune façon. L’artiste amateur avait un si aimable caractère qu’il semblait même s’amuser de l’embarras d’Arthur et de son isolement au milieu des nobles convives. Si Clennam se fût trouvé dans cette situation d’esprit (cette lutte secrète de Personne contre son propre cœur), il en aurait soupçonné quelque chose, et banni ce soupçon comme une indignité, même avant de se lever de table.

Au bout de deux heures, le noble Réfrigérateur, qui n’était jamais moins de cent ans en arrière de son siècle, recula d’environ cinq siècles, et débita d’un ton solennel des oracles politiques appropriés à cette époque lointaine. Il finit par glacer une tasse de thé pour son propre usage, et se retira à sa plus basse température.

Alors Mme Gowan, qui autrefois avait été habituée à garder auprès d’elle un fauteuil vide où elle invitait ses esclaves dévoués à venir s’asseoir, chacun à leur tour, durant les courtes audiences qu’elle leur accordait comme une marque spéciale de sa faveur, fit savoir à Clennam, par un geste circulaire de son éventail, qu’il était invité à s’approcher. Il obéit et vint occuper le trépied que lord Lancastre des Échasses venait d’abandonner.

« Monsieur Clennam, commença Mme Gowan, outre le bonheur que j’ai à vous recevoir… (même dans ce taudis incommode… une vraie caserne…) il y a une chose dont je meurs d’envie de vous parler. Il s’agit d’une circonstance à laquelle mon fils, je crois, est redevable du plaisir d’avoir pu cultiver votre connaissance. »

Clennam s’inclina, jugeant que cette vague réponse était la plus convenable qu’il pût faire à un début de conversation qu’il ne comprenait pas encore tout à fait.

« D’abord, continua Mme Gowan, est-elle vraiment jolie ? »

Si Personne, dans la situation d’esprit qu’on lui connaît, eût eu à répondre, il aurait été fort embarrassé, il aurait eu de la peine à sourire et à demander :

« Qui donc ?

— Oh ! vous savez bien ! répliqua la dame. Cette demoiselle dont Henry s’est épris ; ce malheureux caprice de mon fils. Là ! Si vous regardez comme un point d’honneur de m’obliger à prononcer son nom la première… Mlle Mickles… Miggles…

— Mlle Meagles est extrêmement jolie.

« Les hommes se trompent si souvent à cet égard, poursuivit Mme Gowan secouant la tête, que j’avoue franchement que je suis encore loin d’être persuadée. Pourtant c’est déjà quelque chose que de vous entendre confirmer l’opinion d’Henry avec tant de gravité et de conviction. C’est à Rome qu’il a ramassé ces gens-là, je crois ? »

Cette question eût offensé Personne au dernier point. Quant à Clennam, il se contenta de répondre :

« Pardonnez-moi, mais je crains de n’avoir pas bien compris.