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Mme Gowan, en proie à une douce mélancolie (bien naturelle chez une dame de la société qui voit son fils réduit à solliciter la faveur de la vile multitude en cultivant les Vilains Arts, au lieu de se prévaloir de sa parenté avec les Mollusques, pour passer un anneau de plus dans le nez de la plèbe porcine), commença la conversation en parlant de la triste situation des affaires. Ce fut alors que Clennam apprit pour la première fois sur quels pauvres pivots tourne ce vaste monde.

« Si John Mollusque, dit Mme Gowan, lorsqu’on eut établi en fait la dégénérescence du siècle, si John Mollusque avait seulement consenti à renoncer à sa malheureuse idée de se concilier la vile populace, le danger aurait été conjuré, et je suis convaincue que le pays aurait été sauvé. »

La dame au nez aquilin approuva ce discours, mais elle ajouta vaguement que si Auguste des Échasses avait, dans un ordre du jour général, donné ordre à la cavalerie de monter à cheval et de charger la canaille, le pays, elle en était convaincue, aurait été sauvé.

Le noble Réfrigérateur approuva à son tour ce discours ; mais il ajouta que si William Mollusque et Tudor des Échasses, lorsqu’ils s’étaient réunis pour former une coalition à jamais mémorable, avaient eu le courage de museler les journaux, et rendu passible des peines les plus sévères tout gazetier qui se permettrait de discuter les actes d’une autorité constituée, soit en Angleterre, soit à l’étranger, le pays, il en était convaincu, aurait été sauvé.

Tout le monde convint que le pays (lisez les Mollusques et les des Échasses) avait besoin d’être sauvé. Personne, cependant, ne songea à se demander pourquoi il avait besoin d’être sauvé. Une seule chose paraissait bien claire : c’est qu’il n’était question que de John Mollusque, Auguste des Échasses, William Mollusque et Tudor des Échasses, Paul, Pierre ou Jacques Mollusques et des Échasses, parce que tout le reste n’était que de la vile populace. Ce fut là ce qui fit sur Clennam, qui n’y était pas habitué, une impression très-désagréable ; il se demanda s’il était bien à lui de rester là sans rien dire, tandis qu’on réduisait un grand peuple à d’aussi tristes proportions. Cependant, lorsqu’il se rappela que dans les discussions parlementaires, soit qu’il y fût question de la vie matérielle ou de l’existence morale du pays, on parlait rarement d’autre chose que de John Mollusque, Auguste des Échasses, William Mollusque et Tudor des Échasses, Pierre, Paul et Jacques Mollusque et des Échasses, il se décida à ne rien dire pour défendre la vile populace, puisque la vile populace était habituée à cela.

M. Henry Gowan parut éprouver un malin plaisir à soulever une discussion entre les trois orateurs et à voir la surprise désagréable que leurs discours causaient à Clennam. Méprisant la classe qui l’avait rejeté tout autant que la classe n’avait pas voulu l’accueillir, les idées anté-diluviennes de ses commensaux ne l’