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LA PETITE DORRIT



CHAPITRE XXV.

Conspirateurs et autres.


Le domicile privé de M. Pancks se trouvait dans le faubourg de Pentonville, où il occupait au premier une chambre que lui sous-louait un homme de loi d’un très-petit calibre, qui n’était pas bien cossu, et qui avait fait poser, derrière la porte d’entrée, une seconde porte à ressort qui s’ouvrait et se refermait comme une trappe. Sur la petite vitre, au-dessus de la première porte, on lisait ces mots : RUGG, Agent d’affaires, teneur de livres, recouvrements.

Cette inscription, dont la sévère simplicité avait un certain air de majesté, illuminait un petit bout de jardin qui séparait la maison du trottoir, et où quelques arbustes des plus poudreux penchaient tristement leur feuillage desséché, étouffant dans les flots de poussière. Un professeur d’écriture, qui habitait le rez-de-chaussée, avait orné la grille dudit jardin de cadres contenant des modèles choisis de ce que savaient faire ses élèves avant d’avoir pris une demi-douzaine de leçons, pendant que toute la jeune famille du maître remuait la table, opposés aux chefs-d’œuvre calligraphiques exécutés par ces mêmes élèves après une série de six leçons, et cela, pendant que la jeune famille se tenait tranquille. Le logis de M. Pancks se bornait à une chambre à coucher très-bien ventilée, ledit Pancks ayant en outre stipulé avec le dit Rugg, principal locataire, qu’il aurait chaque dimanche, en vertu d’un tarif réglé à l’amiable et à la condition de prévenir ledit Rugg un jour à l’avance, le droit de partager ou de ne point partager le déjeuner, le dîner, le thé et le souper dudit Rugg et de Mlle Rugg, sa fille, et d’assister, selon sa convenance, à l’un ou à plusieurs, ou à la totalité de ses repas.

Mlle Rugg était une demoiselle possédant un petit pécule dont l’origine lui avait valu une assez grande célébrité dans le voisinage, attendu que, si elle possédait cette fortune, c’est que son cœur avait été cruellement froissé et déchiré par un boulanger entre deux âges des environs, qu’elle avait, par l’entremise de M. Rugg, attaqué devant les tribunaux en rupture de promesse de mariage.

Le boulanger, à qui l’avocat de Mlle Rugg avait à cette occasion adressé les épithètes les plus flétrissantes (aux honoraires de cinq cents francs, chaque épithète revenait à environ un franc cinquante) et qui s’était vu condamner à des dommages et intérêts proportionnés à l’éloquence de cet orateur, continuait bien encore d’être persécuté de temps à autre par la jeunesse de Pentonville. Mais