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opéré et continuait à s’opérer dans son âme patiente. Chaque jour elle devenait plus réservée. Sortir de la prison et y rentrer sans être remarquée de personne, se voir oubliée partout ailleurs, c’était ce qu’elle désirait le plus au monde.

Elle était heureuse toutes les fois qu’elle pouvait, sans négliger ses devoirs, se retirer dans sa propre chambre, qui formait un étrange contraste avec la mignonne jeunesse et le caractère de celle qui l’habitait. Il y avait des après-midi où elle n’allait pas en journée, où deux ou trois visiteurs venaient faire une partie de cartes avec le Doyen, qui pouvait alors se passer d’elle ; sa présence eût même été plutôt une gêne pour les joueurs. Alors elle traversait rapidement la cour, grimpait au haut de cet escalier interminable qui conduisait à sa chambre, et s’asseyait à la croisée. Ces pointes de fer qui couronnaient le mur d’enceinte subissaient bien des transformations imaginaires ; le grillage solide prenait souvent des formes plus légères : bien des rayons dorés venaient en cacher la rouille, tandis que la petite Dorrit rêvait à sa fenêtre. Il y avait bien aussi de nouveaux zigzags qui venaient en troubler le dessin dans ses rêves, et souvent elle ne l’entrevoyait qu’à travers ses larmes ; mais, plus riante ou plus triste, c’était la seule chose qu’elle aimait à voir dans sa solitude ; elle ne regardait le monde qu’à travers ces grilles inexorables.

Sa chambre était une mansarde, une véritable mansarde de prison. Elle ne pouvait pas être mieux tenue, mais elle était fort laide par elle-même, et n’avait guère d’autres mérites que la propreté et le bon air ; car tout ornement que la petite Dorrit était à même d’acheter allait embellir la chambre du Doyen. Néanmoins ce fut à ce pauvre logis qu’elle s’attacha de plus en plus, et elle n’avait pas de plus grand plaisir que d’y rêver seule.

Elle s’y plaisait tant qu’un certain après-midi, durant les mystères de Pancks le bohémien, en entendant, de la fenêtre où elle était assise, le pas familier de Maggy sur l’escalier, elle fut fort troublée par la crainte qu’on ne l’envoyât chercher d’en bas. À mesure que le pas de Maggy montait et se rapprochait, la petite Dorrit trembla et pâlit, et c’est à peine si elle put parler lorsque Maggy parut enfin.

« S’il vous plaît, petite mère, dit Maggy toute haletante, il faut descendre lui dire bonjour. Il est en bas.

— Qui ça, Maggy ?

— Mais, M. Clennam apparemment. Il est dans la chambre de votre père, et il m’a dit : « Maggy, voulez-vous être assez bonne pour monter là-haut dire que ce n’est que moi ? »

— Je ne me porte pas très-bien, Maggy, je ferai mieux de rester ici. Je vais me reposer un peu. Vois ! Je me repose parce que j’ai mal à la tête. Porte-lui mes remercîments et dis-lui comment tu m’as trouvée, qu’autrement je serais descendue.

— Oui, mais ce n’est pas trop poli non plus, petite mère, dit Maggy ouvrant de grands yeux, de détourner la tête comme ça ! »