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— Je puis y aller : merci, répondit la petite Dorrit, c’est très obligeant de votre part ; mais, d’ailleurs, vous êtes toujours plein d’obligeance. »

M. Plornish, désavouant modestement tout droit à cet éloge, rouvrit la porte pour laisser passer la petite Dorrit, et la suivit en voulant se donner si gauchement l’air de n’avoir pas quitté la chambre, que le Doyen, sans être bien soupçonneux, aurait aisément pu deviner de quoi il s’agissait. Cependant, M. William Dorrit, dans sa distraction complaisante, ne remarqua rien. Plornish, après une brève conversation où il sut mêler la déférence de l’ancien détenu à l’indépendance de l’humble ami qui jouissait de sa liberté présente, sans oublier toutefois qu’il n’était qu’un pauvre maçon, prit congé de la société, faisant le tour de la prison avant de la quitter, et assistant à une partie de boules, avec l’arrière-pensée d’un vieil habitué qui a ses raisons personnelles pour croire qu’il pourrait bien être destiné à y revenir un jour ou l’autre.

Le lendemain la petite Dorrit, confiant à Maggy la mission importante de surveiller le ménage paternel, se dirigea de fort bonne heure vers la tente du Patriarche. Elle prit le pont suspendu, malgré les deux sous qu’il fallait déposer au tourniquet, et marcha plus lentement durant cette partie du trajet. À huit heures moins cinq minutes, arrivée à la porte patriarcale, elle posait la main sur le marteau en se dressant sur la pointe du pied pour l’atteindre.

Elle remit la carte de M. Finching à la bonne qui vint lui ouvrir, et la bonne lui annonça que Miss Flora (Flora avait, à son retour sous le toit paternel, repris son nom de demoiselle) n’avait pas encore quitté sa chambre à coucher, mais qu’elle priait Mlle Dorrit de vouloir bien entrer dans le salon. Elle entra donc dans le salon, où elle trouva la table très confortablement servie pour deux, avec un plateau supplémentaire chargé d’un couvert pour le déjeuner d’une tierce personne. La bonne, après avoir disparu un instant, revint dire que miss Flora priait la petite Dorrit de s’asseoir auprès du feu, d’ôter son chapeau et de se mettre à son aise. Mais la petite Dorrit étant très timide et peu habituée à se mettre à son aise lorsqu’elle allait en journée, ne sut trop comment s’y prendre pour obéir à cette dernière recommandation. Elle resta donc assise près de la porte, son chapeau sur la tête, et elle y était encore lorsque Flora entra en grande hâte une demi-heure plus tard.

Flora fut si désolée de l’avoir fait attendre ! Et bonté divine ! pourquoi la petite Dorrit restait-elle là au froid, quand on s’attendait à la trouver lisant le journal au coin du feu ? Cette bonne était bien négligente ; elle avait donc oublié de lui dire de faire comme chez elle ? Comment ! elle était demeurée tout ce temps-là le chapeau sur la tête ! Permettez donc à Flora de l’ôter.

Et Flora, ôtant le chapeau de la jeune fille, de la meilleure grâce du monde, fut si frappée des traits qu’il cachait, qu’elle s’écria : « Quelle bonne petite figure vous avez, ma chère ! » et pressa cette figure entre ses mains comme la plus douce des femmes.