Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.

naturelles. Ni l’un ni l’autre n’en devient plus ingambe pour cela. Et quatre jambes de bois sont plus embarrassantes que deux, quand vous en auriez trop d’une seule. »

Le remorqueur s’arrêta en pouffant, comme s’il laissait échapper un peu de vapeur.

Le silence momentané qui s’ensuivit fut interrompu par la tante de M. Finching, qui s’était tenue toute roide sur sa chaise, dans un état voisin de la catalepsie, depuis sa dernière remarque. À la suite d’un violent tressaillement, bien fait pour produire un effet très vif sur les nerfs d’un étranger, elle éjacula avec une animosité incroyable la déclaration suivante :

« Vous ne sauriez fabriquer une tête à cervelle avec une boule de cuivre creux. Vous n’auriez pas pu le faire lorsque votre oncle Georges était vivant ; comment voudriez-vous le faire maintenant qu’il est mort ? »

M. Pancks répondit immédiatement avec son calme habituel :

« En vérité, madame ? Vous m’étonnez ! »

Mais, nonobstant ce trait de présence d’esprit, le discours de la tante de M. Finching eut pour résultat d’attrister la société : d’abord parce qu’il était évident que c’était à la tête inoffensive de Clennam que cette dame s’en prenait, et ensuite parce que personne ne pouvait deviner quel était cet oncle Georges dont il s’agissait, ni quel était le revenant qu’elle évoquait sous ce nom mystérieux.

Flora remarqua donc, d’un ton qui annonçait qu’elle était fière de son héritage, que la tante de M. Finching semblait très animée aujourd’hui et qu’ils feraient bien de partir ; mais la tante de M. Finching était si mal montée qu’elle prit cette proposition en fort mauvaise part, à la grande surprise de Flora, et déclara qu’elle ne partirait pas, ajoutant à cela diverses expressions injurieuses :

« S’il (ce pronom démonstratif désignait trop clairement Arthur) veut se débarrasser de moi, qu’il me flanque par la croisée ! Je voudrais bien l’y voir ! Qu’il y vienne ! »

Dans cette position critique, M. Pancks, toujours à la hauteur des circonstances quand il s’agissait de surmonter les difficultés qui pouvaient survenir dans les eaux du Patriarche, mit son chapeau, ouvrit tout doucement la porte du bureau, et sortit pour y rentrer sans bruit un moment après, imprégné d’une fraîcheur artificielle qui pouvait faire croire qu’il venait de passer plusieurs semaines à la campagne.

« Eh ! mais, madame, quelle agréable surprise ! s’écria Pancks. Est-ce bien vous que je retrouve ici ? Comment vous portez-vous, madame ? Vous êtes belle comme un astre aujourd’hui ! Je suis ravi de vous voir. Veuillez me donner le bras, madame, nous allons faire une petite promenade ensemble, si vous voulez me permettre de vous servir de cavalier. »

Et sur ce, Pancks reconduisait la tante de M. Finching jusqu’au bas de l’escalier avec beaucoup de galanterie et de succès. Le patriarcal M. Casby se leva alors, ayant l’air d’avoir fait tout cela